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Les cailloux avaient percé mes pieds, les ronces avaient déchiré ma chair, le sang roidi ma chemise ; échappé du repaire d’un tigre, je n’aurais pas présenté autre aspect. Tel quel, je m’offris aux regards de mon maître chrétien. — Avec ce qui me restait de force, je lui racontai tout : comme j’avais travaillé, comme j’étais tombé, les traitements subis, les tortures endurées. Je lui montrai mes flancs, la blessure de ma tête. Je lui dis que, répugnant à le troubler, j’avais hésité à venir ; mais qu’il fallait bien qu’il connût les outrages infligés à son nègre !

Un instant, Caplain Thomas parut remué. La nature humaine se révoltait contre le système. Arpentant la salle, Captain jetait de temps à autre un regard effarouché, sur ce hideux ensemble d’avaries, qu’il avait devant lui. Ce fut court. Il commença de murmurer quelques excuses en faveur de Covey ; puis il s’anima, le justifia, s’écria qu’au bout du compte, il ne croyait pas un mot de mon histoire, que mon insolation s’appelait paresse, que ma paresse méritait les coups, et s’arrêtant brusquement, me demanda ce que je voulais ?

Hélas ! du navire démantelé, j’avais sauté dans l’abîme. J’étais perdu. À quoi bon parler ?

S’apaisant peu à peu, surpris de mon silence, touché peut-être de mon air désespéré : — Que demandes-tu ? fit-il plus doucement.

Alors, reprenant courage : — Permettez-moi, balbutiai-je, de servir ailleurs. Si je retourne chez Covey, il me tuera. Comment me pardonnerait-il, d’avoir eu