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LA VAMPIRE

l’escalier passé, allait en descendant, puis remontait jusqu’à une seconde porte communiquant avec un vaste jardin.

Aussitôt qu’Ézéchiel eut ouvert cette seconde porte, un mugissant aboiement se fit entendre au lointain ; le lecteur aurait reconnu tout de suite la voix du chien géant qui gardait le pavillon de Bretonvilliers.

— Tout sent le diable, se dit Ézéchiel, dans le pays d’où ces gens-là viennent. Ce chien a la voix d’un démon.

Il s’engagea sous une sombre allée de tilleuls taillés en charmille, qui remontait vers la rue Saint-Louis-en-l’Ile.

Les aboiements du molosse devinrent bientôt si violents que le cabaretier s’arrêta épouvanté.

— Holà ! bonne femme Paraxin ! cria-t-il, retenez votre monstre ou je lui casse la tête d’un coup de pistolet.

Un éclat de rire cassé partit du fourré voisin et le fit tressaillir de la tête aux pieds.

— Le chien est enchaîné, trembleur de Français, fut-il dit par derrière les arbres ; n’aie pas peur… Mais, à propos de pistolet, on s’est battu chez toi, là-bas. Y aura-t-il quelque chose pour nos poissons ?

Avant qu’Ézéchiel pût répondre, une femme grande comme un homme et portant le costume hongrois entra dans une échappée de lumière que la lune faisait dans l’avenue.

— Bonsoir, Ézéchiel, dit-elle dans le français barbare qu’elle baragouinait avec peine. On ne peut pas te parler latin à toi ; vous autres, Parisiens, vous êtes plus ignorants que des esclaves !… As-tu quelque chose à nous dire ?

— Je veux voir madame la comtesse, répliqua le cabaretier.

— Madame la comtesse est loin d’ici, repartit Paraxin, qui s’était approchée et dominait Ézéchiel de la tête. Elle a de l’occupation ce soir.

— Elle en mange un ? demanda le cabaretier avec une curiosité mêlée d’horreur.

La Paraxin fit un signe de tête caressant et répondit :

— Elle en mange deux.

Ézéchiel recula malgré lui. La grande femme ricanait. Elle répéta :

Qu’as-tu à dire ?

— J’ai à dire, répliqua Ézéchiel, que tout ça ne peut pas durer. Le monde parle. Il y a des gens sur la trace, et la frime du quai de Béthune est usée jusqu’à la corde. Tout devait être fini voilà quinze jours…

— Tout sera fini dans huit jours, l’interrompit la grande femme. L’argent vient ; la somme y sera. Ceux qui auront été avec nous jusqu’au bout auront leur fortune faite. Ceux qui