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LA VAMPIRE

Quinze jours se passèrent. Une fois, à l’heure du repas, René ne parut point.

Quand il arriva, longtemps après l’heure, il était soucieux et pâle.

Le lendemain, son absence fut plus longue.

Le surlendemain, Angèle manqua aussi au souper de famille. La petite fille se prit à souffrir et à maigrir : le lait de sa mère, qui naguère la faisait si fraîche, s’échauffa, puis tarit. Nous fûmes obligés de prendre une nourrice.

Que se passait-il ?

J’interrogeai notre Angèle ; sa mère l’interrogea ; tout fut inutile. Notre Angèle n’avait rien, disait-elle.

Jusqu’au dernier moment elle refusa de nous répondre, et nous n’avons pas eu son secret.

Il en fut de même de René. René donnait à ses absences des motifs plausibles et expliquait sa tristesse soudaine par de mauvaises nouvelles arrivées de Bretagne.

Angèle était si changée que nous avions peine à la reconnaître. Nous la surprenions sans cesse avec de grosses larmes dans les yeux.

Et cependant le jour du mariage approchait.

Voilà trois fois vingt-quatre heures que René de Kervoz n’a point couché dans son lit.

Il a visité, le 28 du mois de février, l’église de Saint-Louis-en-l’Ile, où il a rencontré une femme. Angèle l’avait suivi, j’avais suivi Angèle. Ce soir-là on m’a rapporté Angèle mourante ; elle a refusé de répondre à mes questions.

Le lendemain, toute faible qu’elle était, elle s’échappa de chez nous, après avoir embrassé sa petite fille en pleurant.

René n’est pas revenu, et nous n’avons pas revu notre Angèle.

Jean-Pierre Sévérin se tut.

Pendant la dernière partie de son récit, faite d’une voix nette et brève, quoique profondément triste, le secrétaire général s’était montré très attentif.

— J’ai pris des notes, dit-il quand son interlocuteur garda enfin le silence. La série de mes devoirs comprend les petites choses commet les grandes, et je suis tout particulièrement doué de la faculté d’embrasser dix sujets à la fois. Bien plus, j’en saisis les connexités avec une étonnante précision. Votre affaire, qui semble au premier aspect si vulgaire, mon cher voisin, en croise une autre, laquelle touche au salut de l’État. Voilà mon appréciation.

— Prenez garde, commença Jean-Pierre. Ne vous égarez pas.

— Je ne m’égare jamais ! l’interrompit Berthellemot avec majesté. Il s’agit d’un double suicide.