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LA VAMPIRE

un petit cabaret de fondation nouvelle qui portait pour enseigne un tableau, brossé naïvement par un peintre étranger à l’Académie des beaux-arts.

Ce tableau représentait deux sujets fraternellement juxtaposés dans le même cadre.

Premier sujet : Ézéchiel en costume de ravageur, faisant tourner d’une main sa sébile, au fond de laquelle on voyait briller des pièces d’or, et relevant de l’autre une ligne, dont la gaule, pliée en deux, supportait un monstre marin copié sur nature dans le récit de Théramène.

Ézéchiel était le nom du maître du cabaret.

Second sujet : Ézéchiel en costume de maison, éventrant, dans le silence du cabinet, le monstre dont il est question ci-dessus et retirant de son ventre une bague chevalière ornée d’un brillant qui reluisait comme le soleil.

Il est juste d’ajouter que la bague était passée à un doigt et que le doigt appartenait à une main. Le tout avait été avalé par le monstre du récit de Théramène, sans mastication préalable et avec une évidente volupté dont témoignait encore :

Sa croupe recourbée en replis tortueux.

Les deux sujets jumeaux n’avaient qu’une seule légende qui disait en lettre mal formées :

À la pêche miraculeuse.

Le lecteur commence peut-être à comprendre la connexité existant entre le fameux banc de poisson de l’île Saint-Louis et cette rumeur funèbre qui courait vaguement dans Paris.

Nous ne lui marchanderons point, du reste, le chapitre des explications.

Mais, pour le moment, il nous faut dire que tout Paris connaissait l’aventure d’Ézéchiel représentée par le tableau, aventure authentique, acceptée, populaire, et dont personne ne se serait avisé de mettre en doute l’exactitude avérée.

En effet, avec le produit de la vente de ce bijou trouvé dans l’estomac du monstre, Ézéchiel avait monté, au vu et au su de tout le monde, son établissement de cabaretier.

Et comme il avait découvert le premier ce Pérou en miniature, ce gisement de richesses subaquatiques, il était permis à l’imagination des badauds d’enfiler à son sujet tout un chapelet d’hypothèses dorées. Son nom indiquait une origine Israélite, et l’on sait la bonne réputation accordée à l’ancien peuple de Dieu par la classe ouvrière. On parlait déjà d’un caveau où Ézéchiel amoncelait des trésors.

Les autres étaient venus quand la veine aurifère était déjà écrémée ; les autres, pêcheurs naïfs ou pêcheurs d’aven-