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LE SIÈGE DE QUÉBEC

— Oui, oui, mademoiselle, nous saurons bien leur faire rendre gorge, à ces malandrins, assura Regaudin. Si ce n’est pas une honte…

Tous deux s’étaient levés.

— Mais, dit la jeune fille avec émoi, vous ne les trouverez pas !

— Si, ventre-de-diable ! nous les trouverons, grommela Pertuluis.

— Et nous les étriperons, les bandits ! cria Regaudin.

Ils s’apprêtèrent à gagner la porte de sortie.

Rose eut peur de les voir s’échapper, et elle clama ce nom :

— Flambard !

La porte de la cuisine s’ouvrit violemment, et dans le cadre apparut la silhouette terrible du spadassin.

Pertuluis lança un blasphème et mit l’épée à la main.

Regaudin vociféra un « biche-de-bois » et tira sa rapière.

Dans la salle le silence s’était fait ; miliciens et matelots au cri poussé par La Pluchette s’étaient dressés debout, et plusieurs, croyant à une alerte, avaient pris leurs fusils. Tous regardaient tour à tour Flambard, les deux grenadiers et La Pluchette. Qu’allait-il se passer ? Rose Peluchet dit encore, en désignant les deux bravi à Flambard :

— Ils veulent se sauver !

Le spadassin fit un bond énorme de la porte de la cuisine à la porte de la taverne, et dans cette porte il s’appuya du dos. Puis, à voir la mine ébaudie des deux grenadiers, il partit d’un grand éclat de rire.

Tremblants, serrant avec force la poignée de leurs rapières les deux grenadiers paraissaient se concerter du regard. Toute la salle, alors, avait les yeux portés sur notre héros. La mère Rodioux, toujours derrière son comptoir, les poings sur les hanches, laissait courir sur ses lèvres blêmes un sourire ambigu. Flambard, de sa voix nasillarde et narquoise, parla ainsi aux miliciens et matelots :

— Mes amis, voilà deux poivrots que plusieurs d’entre vous connaissent bien. S’il en est d’autres qui n’ont pas encore eu cet avantage, que ceux-là demeurent tranquilles, ils auront bientôt le grand honneur et le suprême plaisir de faire connaissance avec Monsieur le Chevalier de Pertuluis et son digne écuyer le sieur de Regaudin. Mais pour l’instant je vous demande de faire place, afin que je me permette cet honneur inouï de frotter ma rapière contre la leur. Si d’aventure certaines rapières avaient l’heur d’aller faire un court voyage dans les airs, gare à vos têtes lorsqu’elles reviendront vers la terre, et alors je vous autorise à les ramasser vivement.

L’assistance, amusée, comprenait. On s’écarta pour laisser libre le centre de la salle, et tables et escabeaux furent en un clin d’œil poussés dans les angles.

Alors Pertuluis, qui vit le chemin libre jusqu’à la porte que seul gardait Flambard, poussa du coude son compagnon et souffla :

— À la porte, Regaudin !

— J’enfile, Pertuluis.

— Embrochons ce cochon de Flambard en passant !

— C’est entendu. Il y a longtemps que j’ai promis de le perforer comme un vieux sac à guenilles.

À la seconde même ils fondirent sur Flambard en poussant leurs cris de guerre coutumiers :

— Taille en pièces !

— Pourfends et tue !

Flambard jeta un long rire qui se perdit dans un âpre crissement d’acier.

Ce ne fut pas long que, la rapière de Flambard, coupant l’espace avec la vitesse de l’éclair, fit sauter les rapières des mains des deux grenadiers.

Leur rage éclata dans un cri affreux.

— Ramassez ! cria le spadassin aux miliciens. Pertuluis et Regaudin profitèrent de ce moment où l’attention de notre héros était ailleurs pour s’élancer vers la porte.

Flambard y fut avant eux.

— Pas à présent, mes maîtres, il y a de quoi à vous apprendre !

Il les repoussa vers le centre de la salle, saisit une table, l’appliqua contre la porte et monta dessus. L’assistance était au comble du plaisir, car tous savaient que quand Flambard voulait mener le bal, il le savait mener avec entrain, si bien que quand on ne pleurait pas à chaudes et abondantes larmes, on riait à se détordre les mâchoires.

— Mes amis Canadiens, cria Flambard du haut de la table, je vous ai promis de vous faire connaître ces deux gentilshommes : eh bien ! je vous présente deux voleurs d’enfants !

Une clameur s’éleva :

— À mort les voleurs d’enfants !

Des poings se tendirent menaçants vers les deux grenadiers qui, tremblants, épouvantés, s’étaient peu à peu reculés dans un pan d’ombre, des fusils furent braqués dans leur direction.

— Un moment ! dit le spadassin.

Une voix forte clama :

— Les voleurs d’enfants, on les lapide comme des chiens enragés !

— Les voleurs d’enfants, dit un autre, on les crucifie !

— Lapidation et crucifixion ! ricana Flambard, voilà bien ce qu’ils ont mérité tous les deux. Mais, comme ce serait faire affront à Notre-Seigneur Jésus que de leur faire souffrir le supplice qu’il endura pour l’amour du genre humain, nous tâcherons de leur trouver un châtiment plus approprié à leurs méfaits. Tout de même, vu qu’il y a miséricorde à tout péché, je me sens encore disposé à les absoudre, pourvu qu’ils nous confessent leurs péchés et qu’ils nous en montrent un vrai et sincère repentir.

Un murmure d’approbation fit la ronde.

Le spadassin s’adressa alors aux deux grenadiers :

— Mes braves gentilshommes, prononça-t-il plus ironique que jamais, voulez-vous recevoir l’absolution de vos fautes, crimes et péchés, en nous disant ce que vous avez fait de l’enfant que vous avez enlevé à de pauvres paysans ? Car la mère de cet enfant est une bonne chrétienne et une brave Française ; car le père de cet enfant est un vaillant milicien et un fidèle serviteur du roi ; car cette jolie Rose Peluchet,