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LE SIÈGE DE QUÉBEC

— Tout juste, répondit Verdelet, et pour votre brillante conduite de ce soir il vous réserve deux fûts de cette même eau-de-vie !

— Deux fûts ! bégaya Pertuluis que la joie fit chanceler.

— Hé là ! Pertuluis, cria Regaudin en s’élançant sur lui et lui enlevant le carafon, ne répands pas la divine liqueur de Monsieur l’intendant. J’ai également le droit de me laver les entrailles de cette eau sainte. À la santé de la compagnie !

Il vida tout à fait le carafon, et le jetant à Flambard qu’on achevait de garrotter :

— Tiens ! sens-lui la gueule, c’est bien assez pour toi !

— Merci, répliqua Flambard en ricanant, c’est bien assez pour moi que je sente d’ici ta gueule d’égout !

Les Cadets jetèrent un éclat de rire énorme.

Regaudin, outragé, saisit l’épée d’un garde et se rua contre Flambard étendu sur le plancher et impuissant.

Pertuluis sauta à la gorge de son camarade et l’arrêta.

— Ventre-de-roi ! dit-il, ne va pas gâter la sauce !

— Il m’a insulté ! rugit Regaudin en se débattant.

— Attends ! nous lui ferons tous ensemble l’insulte !

— Non… je veux proprement l’occire !

— Il faut le plumer d’abord.

— Je veux l’égorger d’abord, puis boire tout son sang ensuite !

— Es-tu fou, Regaudin, tu t’empoisonnerais !

Les gardes et Cadets se mirent à rire à tue-tête.

— Vrai ? fit Regaudin en grimaçant un sourire railleur, je m’empoisonnerais ?

— Pour sûr, affirma Verdelet en intervenant, ce Flambard n’est plus qu’une charogne… Allons ! amis, venez, il importe d’arroser convenablement cette magnifique prise, après quoi nous procéderons à l’opération !

— Hourra pour Verdelet ! clamèrent les gardes et Cadets.

Pertuluis et Regaudin furent entraînés vers une table où on les fit asseoir. Puis Verdelet souleva le panneau d’une trappe dans le plancher, descendit un escalier et revint l’instant d’après portant sur l’épaule une futaille d’eau-de-vie.

— À la santé de Monsieur l’intendant ! clamèrent d’une voix de tonnerre les gardes et cadets.


XI

LA CHAMBRE DE FER


Pris comme un renard au piège, Flambard n’avait marqué ni étonnement ni crainte, du moins sa figure hâlée était demeurée narquoise et souriante. Mais en lui-même, tandis que les deux grenadiers, les gardes et les cadets buvaient et s’ébaudissaient à qui mieux mieux, il ne manquait pas de se fustiger vertement.

— Par mon âme ! ne suis-je pas devenu tout à fait imbécile ? Ah ! ces blancs-becs peuvent bien pouffailler… Pardieu ! qui n’en ferait autant ? Voilà que je pense remorquer deux imbéciles, et il arrive que ce sont ces deux imbéciles mêmes qui traînent un idiot ! Ah ! oui, ils peuvent bien rigoler et ripailler tout leur saoul ! Et moi-même, le premier, j’ai envie d’éclater ! Par ma foi ! je pourrais rire plus fort que toute cette ribaudaille stupide ! Non, décidément, je ne vaux plus grand’chose ! Ma peau racornie n’est tout au plus bonne, à présent, qu’à fabriquer des mocassins pour les galopins de la ville !

Et notre héros allait fort probablement allonger le chapitre de ses apostrophes, quand il vit Verdelet s’écarter des gardes et cadets qui ne semblaient plus s’occuper de leur prisonnier, et marcher vers lui en dissimulant un objet dans les basques de son uniforme.

— Allons ! que me veut cet animal ? se demanda Flambard légèrement intrigué.

Verdelet vint s’arrêter près du spadassin, laissant courir sur ses lèvres un sourire ambigu. Puis il tira de ses basques un carafon qu’il présenta aux lèvres de Flambard :

— Vite ! murmura-t-il, buvez, on ne s’apercevra de rien.

Flambard ravala son étonnement pour avaler à demi le contenu du carafon.

— Merci, dit-il en pourléchant ses lèvres humides, c’est exquis. Ma foi ! ajouta-t-il, je dois bien le confesser, je ne t’en veux pas trop à toi !

— Pourquoi m’en voudriez-vous ? demanda placidement Verdelet. Ne vous ai-je pas déjà sauvé de la mort certaine et assurée ?

— Certes, certes.

— Eh bien ! je viens vous dire de demeurer bien tranquille, et que je vous sauverai encore une fois !

— Vraiment ! fit joyeusement Flambard,

— Foi de Verdelet !… Voyez-vous, c’est de la comédie que je file avec ces bavards de cadets ! Ayez confiance… je vais vous escamoter, le moment venu, ils n’y verront que vide et vent !

Et Verdelet s’empressa de rejoindre la bande joyeuse qui n’avait pas paru remarquer ce manège du garde.

Ahuri, Flambard se demandait comment deux mois auparavant, ce Verdelet avait pu sortir du souterrain au fond duquel lui, Flambard avait failli laisser sa peau. Il aurait donné gros pour le savoir et satisfaire sa curiosité. Et comme notre bon lecteur est tout probablement sous l’empire de la même curiosité, nous ferons machine arrière, pour revenir un peu plus tard à notre héros que nous laisserons en compagnie des gardes et cadets de M. Bigot.

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On se rappelle comment Flambard, au moment où il allait franchir le torrent du souterrain, avait vu une subite clarté envahir le souterrain puis s’éteindre, et comment, après avoir sauté par-dessus l’abîme, il avait entendu une porte se refermer avec un bruit d’acier. Verdelet, naturellement, avait vu la même clarté et entendu le même bruit de porte. Et l’on se rappelle encore que, peu après, il avait manifesté une énorme lassitude et déclaré à