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LE SIÈGE DE QUÉBEC

sens de la vie : il échappa Verdelet, qui venait de pousser un cri terrible, et saisit son cou…

À la seconde même il sentit la corde lâcher… Héloïse venait de la couper, sans quoi notre ami aurait été suspendu au-dessus des flammes, et il aurait été grillé comme dindon à la broche.

Flambard tomba donc sur un bûcher, du moins il le pensa. Sur la seconde même il ne perçut que flammes rouges qui hurlaient, se tordaient et le brûlaient horriblement. Il piétinait sur des braises et des charbons ardents qui, en brûlant la plante de ses pieds, semblaient lui souffler leur feu jusqu’en la petite moelle de ses os. Et ses cheveux grésillaient, son nez chauffait et se rosissait à l’extrême, ses paupières fondaient sous les flammes, ses yeux tournaient au blanc, sa bouche avalait des flammes, et ses doigts avaient l’air de se fendre sous l’action de la chaleur intense. Bref, il sentait qu’il était tombé en enfer ! Mais était-ce bien pour l’éternité ?… Il en douta un peu, quand il sentit la mort l’envahir…

Si Flambard fût tombé à l’eau, comme tout autre mortel il eût cherché une planche de salut… un objet flottant quelconque pour s’agripper et se tirer de la noyade. Or, étant descendu dans un gouffre de feu et de flammes, il chercha un objet… une planche de salut, pour se sauver de la brûlade.

À l’instant où ses pieds touchaient le lit de charbons rouges, il sentit un corps quelconque frôler ses jambes. Il plongea ses deux mains dans les flammes et saisit quelque chose… un être quelconque qui semblait ramper dans ce brasier, et Flambard pensa que c’était un pied… le pied d’un homme probablement ou d’un démon ! N’importe ! il serra ce pied, cette planche de salut… À la même minute une porte ou un panneau s’ouvrait… Le brasier rugit affreusement, les flammes sifflèrent et parurent soulever notre héros et l’emporter dans l’espace. Il serra plus fort le pied… il serra avec l’énergie du désespoir, et il vit un corps humain se glisser par la porte… un trou dans lequel il fallait passer à quatre. Flambard suivit le pied qu’il tenait, et à son tour il se trouva dans ce trou qu’il franchit. Il se trouva hors du brasier… mais il n’en brûlait pas moins. Il lâcha le pied, et il aperçut une silhouette humaine toute en flammes grimper une courte échelle appliquée à un mur de pierre et disparaître. Il entendit que cette silhouette humaine venait de plonger dans de l’eau. À son tour le spadassin se rua à l’échelle, et, la seconde d’après, plouque ! il venait de plonger dans l’eau d’un réservoir ou d’une citerne. Et alors il ressentit un tel bien-être qu’il fut tenté de rester là tranquillement le reste de ses jours ! De fait, il y avait là huit à dix pieds d’eau et rien de plus facile que d’y rester.

Mais Flambard venait de voir la même ombre humaine remonter précipitamment sur le bord du réservoir et sauter en bas du mur à l’extérieur. La curiosité poussa notre ami à reconnaître cet être humain. D’un bond prodigieux il sauta par-dessus le mur de la citerne et tomba sur un individu qu’il reconnut pour Verdelet. Celui-ci, tombé sur les dalles de la cave, se relevait pour s’enfuir.

— Attends un peu, mon ami, lui dit Flambard en le saisissant au collet ; puisqu’il a été convenu que nous devions partir ensemble pour ce voyage dans les enfers, il est juste et naturel que nous l’achevions de compagnie. Néanmoins, si ma compagnie te déplaît le moins du monde, je te refourre corps et âme dans cette magnifique fournaise !

Ce disant, Flambard poussa le malheureux Verdelet dans la porte ouverte d’une immense fournaise en laquelle des flammes ardentes hurlaient. C’était, comme Flambard le vit, la fournaise en laquelle il avait été précipité.

— Non ! non ! cria Verdelet en se débattant avec fureur.

Les chairs à demi brûlées, il ne semblait pas tenir à refaire la terrible expérience.

— Tu ne veux pas ? ricana Flambard. C’est bien. En ce cas, montre-moi le chemin qu’il faut suivre pour sortir d’ici, puisque tu sembles connaître si bien les aîtres.

— C’est bien, suivez-moi ! Et vite… sinon dans cinq minutes il sera trop tard, car toute la maison va s’effondrer sur nos têtes.

— Bon, je te comprends, répliqua Flambard. Mais c’est à toi de faire vite, moi je suis.

Verdelet tourna à gauche du réservoir, enfila un couloir au bout duquel il monta quatre marches de pierre et ouvrit une porte. Cette porte donnait dans une salle basse des sous-sols, et, à voir quantité de barriques et de futailles rangées le long des murs, Flambard comprit que c’était là la cave à vins de l’Intendant. Et comme il s’était arrêté pour examiner d’un regard ébloui ces magnifiques futailles, Verdelet lui cria d’une voix qui sonnait la folie :

— Vite… nous n’avons plus qu’une minute ou deux, venez !

— Mettons que nous avons deux minutes, mon ami, répliqua tranquillement Flambard. Or, attendu que je viens d’attraper une formidable suerie, il est de toute justice que je prenne l’une de ces deux minutes pour me rafraîchir l’intérieur, après m’être rafraîchi l’extérieur.

Et notre ami s’approcha d’une barrique fort ventrue juchée sur un chevalet, en tourna la cannette, mit sa bouche sous l’ouverture et but à longs traits d’un vin exquis qui lui remit au cœur comme un élixir de vie, après s’être dans la fournaise ardente soûlé d’un élixir de mort.

— Bien, dit-il en regardant Verdelet, tremblant, noir de fumée et de charbon, brûlé, dégouttant d’eau, ce vin m’a retrempé ! Tu n’en veux pas ?… Non ?… Tant pis !

Et Flambard, laissait la cannette couler, suivit Verdelet qui traversa la salle au pas de course. Au bout de cette salle, on tomba dans un passage court et sombre qui était fermé par une porte de fer. Le garde ouvrit cette porte et il s’engagea aussitôt dans un escalier qui donnait dans une noirceur d’encre.

— Refermez la porte ! dit-il au spadassin.

Celui-ci obéit.

Mais en lâchant le bouton de la porte il perdit l’équilibre et dégringola l’escalier qui comptait une dizaine de marches. Si Verdelet n’eût