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connus il chercha à reconnaître le maître-aubergiste.

Devinant aussitôt un étranger, Simon Therrier s’avança à sa rencontre, et, très souriant, très accueillant, demanda d’une voix suave :

— Vous êtes français, mon gentilhomme ?

Car il avait un certain air ce jeune homme dans le vêtement tout noir qui l’habillait. Il portait avec une élégante aisance un frac à larges basques qui moulait sa taille fine et souple. Et à voir ses mains fines et très blanches, on comprenait de suite que ce jeune homme ne sortait pas de l’atelier. Il avait tout simplement la physionomie d’un gentilhomme de province.

— Vous êtes monsieur Therrier ? questionna le jeune homme, oubliant ou négligeant de répondre à l’interrogation qu’on venait de lui faire.

— C’est moi en personne, sourit plus largement l’aubergiste. Que puis-je faire pour vous être utile ?

— Je cherche un logement, monsieur. Débarqué ce matin, j’ai parcouru toute la ville à la recherche d’une auberge française. Finalement, l’on m’a indiqué votre maison.

— Le hasard vous sert bien, mon jeune ami, il me reste une chambre en disponibilité, et je vous la cède de tout cœur.

— Merci.

— Votre nom, cher monsieur ?

— Hindelang.

— Vous arrivez de France ?

— Oui, de Paris. Mais j’ai séjourné quelques semaines à Londres.

— Vous visitez le monde ?

— Non… je viens en Amérique pour y gagner de l’argent.

— Vrai ? Eh bien ! mon ami, c’est l’unique pays au monde ! s’écria Simon Therrier avec enthousiasme.

— C’est bien ce qu’on m’a affirmé, sourit le jeune homme.

— On a dû vous affirmer aussi que, avec un petit capital-espèces, l’on pouvait en quelques années bien courtes se conquérir une fortune ?

— On m’a dit cela également.

— Alors, vous avez un petit capital à placer ?

— Bien mince, monsieur. C’est le petit héritage qu’a laissé mon père en mourant. J’ai pris la moitié seulement, abandonnant l’autre moitié à ma mère que j’ai laissée à Paris en attendant le jour, pas trop lointain, j’espère, où je pourrai aller la chercher.

— Ah ! pauvre mère ! fit avec compassion l’aubergiste très intéressé par ce jeune homme qui, bien que sa personne révélât un peu de timidité, laissait cependant voir une nature forte et énergique. Et l’aubergiste demanda encore :

— Vous l’avez laissée seule à Paris, votre mère ?

— Pas tout à fait : un ami commun s’est chargé de veiller sur elle durant notre séparation.

— Pauvre femme ! elle s’ennuiera sûrement…

— Je sais, sourit amèrement le jeune homme. Aussi vais-je tâcher de me caser le plus tôt.

— Vous trouverez des compatriotes obligeants qui vous aideront, affirma l’hôtelier, et vous pouvez dès ce moment compter sur moi, bien que je vaille peu de chose.

— Merci, monsieur, vous me réconfortez.

— Oh ! parce que vous êtes étranger en pays inconnu il ne faut pas vous mettre martel en tête ; vous verrez qu’il est facile de vivre ici !

— Je vous crois ; mais je désire, avant d’entreprendre aucune démarche, me mettre au courant des coutumes et surtout de la langue de ce pays nouveau pour moi.

— C’est-à-dire vous acclimater, se mit à rire l’affable aubergiste. Oh ! ajouta-t-il avec bonhomie, ce sera vite fait du moment que nous avons du talent et de l’aptitude. Car, comme vous le pensez bien, pour réussir en ce pays, il importe avant tout de savoir baragouiner quelques mots d’américain ou même quelques mots d’anglais.

— J’ai profité de mon séjour à Londres pour apprendre quelques mots d’anglais.

— Ah ! mais alors, s’écria l’aubergiste avec admiration, c’est affaire de semaines seulement pour vous. Mais si, mais si, j’en suis convaincu, et avant trois mois on vous prendra pour un Yankee. Et le brave aubergiste éclata d’un franc rire.

Il s’interrompit aussitôt pour reprendre son sérieux et demander :

— Vous devez être fatigué ?… Et je suis là à vous retenir sur vos jambes, tandis qu’un lit bien moelleux et bien frais vous attend et ferait mieux votre affaire ?… Je m’imagine bien que vous avez marché tout le jour par cette cité qui, en ces mois d’été, est un véritable four que ne réussit pas à rafraîchir la brise de mer.

— C’est vrai, avoua le jeune homme, j’ai eu bien chaud et je me sens très las. Je vous