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ble de fer qui servait à recevoir le pot à l’eau, les gamelles, tasses et cuillers à l’usage des prisonniers. Au pied de chaque lit était un escabeau. C’était l’ameublement.

— Ma foi, sourit Hindelang après avoir considéré cet intérieur et entendu les explications de son nouveau compagnon, ce n’est pas ce qu’on pourrait appeler du luxe ; tout de même je dois avouer que ce logis me paraît plus brillant que celui que je viens de quitter à la vieille prison. Ici, au moins, tout est propre et il fait un peu clair.

En effet, une fenêtre du corridor jetait un peu de clarté dans ce tombeau.

Hindelang abaissa le lit qui lui était destiné, et s’étendit dessus comme pour voir comment on y reposait. Puis, en souriant, il dit à son compagnon :

— Mon ami, s’il est vrai qu’ici est ma dernière demeure, j’en profite : je suis rompu et je dors un somme !

— À votre aise, répondit Lévesque. Vous avez une heure avant le dîner, il est maintenant onze heures.

L’instant d’après Hindelang dormait à poings fermés.


IV

PENDANT QU’APPROCHE L’HEURE SUPRÊME.


Il serait peut-être peu intéressant de narrer les jours de langueur, de mélancolie ou de joie factice que vécut là notre héros de France, c’est-à-dire du 23 janvier au 15 février.

Il suffira de dire qu’il fut le plus bruyant des prisonniers. Il ne se laissait pas d’imaginer toutes espèces de drôleries, de gestes, mimique, et souvent de mots cinglants, à l’adresse des ennemis de notre nationalité. Tous les jours il y avait séance de comédie dans laquelle le rôle principal était tenu par Hindelang. Il donnait à son talent — pour ne pas dire à son art — une maîtrise parfaite. Il composait des monologues et des satires pour les réciter ensuite avec force gestes et mimiques qui faisaient rire à se pâmer. Souvent à quelques-unes de ses satires, toujours pleines de sel et d’une portée juste, il composait un air quelconque, et le soir, de la fermeture des cellules jusqu’à neuf heures, alors que le silence devait être absolu, il chantait. De cellule en cellule le rire se propageait, les applaudissements retentissaient. Un soir, à l’heure venue du repos, Hindelang avait lancé quelques bons mots qui avaient trop fort égayé les autres prisonniers. Un tourne-clé était monté de la salle des gardes et avait crié avec fureur :

— Hé ! français ! veux-tu aller au « trou » en attendant que le bourreau te fasse taire pour toujours !

Cette rude apostrophe avait refroidi le jeune homme.

Ah ! c’est que le brutal gardien avait touché la plaie vive de son cœur atrocement meurtri. S’il se plaisait tant à rire ou à faire rire ceux qui l’entouraient, ce n’était pas pure dissipation ; c’était pour étourdir son esprit, c’était pour ne pas entendre les voix douces ou terribles qui parlaient jour et nuit à son âme.

Bien des nuits, de ces nuits lourdes des prisons, nuits chargées d’une atmosphère étouffante, nuits où le cauchemar vit en maître chez l’innocent surtout qui souffre de l’injustice ou de la vengeance humaine, dans l’écrasant silence qui pèse sur le sommeil des prisonniers du même poids que la masse de pierre et de fer qui les abrite, on avait pu entendre des gémissements de la cellule d’Hindelang. Une nuit, sa voix devenue étouffée et plaintive avait prononcé ces paroles :

— Ô mon cœur, tais-toi ! Tu me tortures plus que ne feraient cent potences dressées pour mon supplice !

Une nuit, encore, il avait revu en songe la terrible vision qu’il avait eue sur le lac Champlain. Puis il avait poussé un cri si formidable que tous les prisonniers s’étaient réveillés en sursaut. Et il s’était mis debout dans l’obscurité de son cachot, puis, penché sur son compagnon presque épouvanté, il avait hurlé :

— Arrache-moi à ce cauchemar ! Arrache… entends-tu…

Il s’était écrasé aussitôt sur son lit en pleurant.

Le rêve avait cessé.

Naturellement, au matin suivant tous les prisonniers avaient été curieux de savoir la cause de ce cri et les détails de l’accident.

Avec une feinte insouciance Hindelang raconta les circonstances de cette vision qu’il avait eue une fois déjà, et il ajouta avec bravade :

— Vous voyez bien, mes amis, que je m’attendais à la sentence qui pèse sur moi ! Ah ! si les Anglais ont voulu me faire peur, qu’ils se détrompent ! Je prévoyais donc cette con-