Page:Féron - Le patriote, 1926.djvu/34

Cette page a été validée par deux contributeurs.

bond prodigieux sur le parapet, s’élancer, disparaître et s’engouffrer dans les eaux du lac.

C’était Hindelang…

L’instant d’après il nageait vivement du côté de la rive où il apercevait le canot de ses hommes qui en approchait.

Une voix rageuse commanda le feu.

Cette fois les carabines ne furent pas épaulées, les agents anglais sentaient à ce moment un feu violent gronder sous leurs pieds.

La panique s’empara d’eux. Dans une course échevelée ils se précipitèrent sur leur petit navire, tranchèrent à coups de hache les câbles qui retenaient les grappins, et s’écartèrent à toutes voiles de l’American-Gentleman.

Il n’était que temps : cinquante brasses à peine les séparaient du vaisseau en flammes qu’une forte détonation retentit, puis s’éleva dans les airs un nuage de fumée noire. Les passagers du schooner, saisis d’épouvante et statufiés, voyaient pleuvoir autour d’eux une grêle de débris de tous genres. Puis le calme se rétablit, et de l’American-Gentleman on ne pouvait plus voir, flottant à la surface des eaux, que des pièces de bois calcinées et fumantes.

Pendant ce temps-là, Hindelang rejoignait ses hommes sur la rive, et avec eux s’enfonçait dans les bois vers le nord-est.


V

LE DOCTEUR ROBERT NELSON.


Après avoir retrouvé la route parcourue par les charrettes des Patriotes canadiens et après une marche longue et difficile, Hindelang et ses hommes aboutirent à un immense ravin sur lequel un pont rudimentaire avait été jeté. La nuit était venue. Sur le côté opposé de ce ravin, la lune éclairait un groupe de huttes construites de bois brut et à toits plats faits d’un mélange de terre argileuse et d’herbes.

C’est là qu’habitait le contrebandier, Noël Charron, que nous avons déjà nommé.

Lorsque Hindelang arriva au pont, des chiens à la chaîne jetèrent de sonores aboiements. De l’une des huttes la porte fut ouverte, et un homme, à barbe noire et inculte, apparut dans la vive clarté de la lune.

Il fit taire les chiens qui continuaient d’aboyer furieusement dans la direction du pont, et il aperçut un groupe d’hommes qui franchissaient déjà l’espace s’étendant entre le ravin et les constructions primitives. Il rentra vivement dans la hutte pour en ressortir l’instant d’après armé d’un fusil. Mais un autre personnage le suivait. Ce personnage aperçut tout à coup le visage vivement éclairé d’Hindelang. Il poussa un cri de joie, et s’élança à la rencontre du jeune homme en disant, la voix troublée :

— Ah ! mon jeune ami, je vous croyais perdu !

C’était M. Rochon.

Bientôt Simon Therrier survenait, serrait le jeune homme dans ses bras et l’entraînait, ainsi que ses compagnons, vers la hutte où tous entrèrent. Il y avait là, dans une pièce spacieuse grossièrement meublée, une trentaine d’hommes, aux faces rudes et ravagées, fumant autour d’un poêle immense qui ronflait gaiement et répandait une chaleur presque suffocante.

La première chose que fit M. Rochon, ce fut d’expliquer la rencontre de patrouilles anglaises par les deux dernières charrettes, la capture des deux charretiers et la perte de cette partie de la cargaison. Et il ajouta :

— Quand j’ai appris cet accident j’étais ici avec Simon Therrier, et nous nous disposions à retourner au navire avec les charrettes nécessaires pour ramener le reste de nos munitions. Mais bientôt l’un de ces gaillards vint nous avertir que les patrouilles se dirigeaient vers le lac. Alors j’ai redouté un malheur, tout en espérant que vous pourriez peut-être vous tirer d’affaire.

Hindelang se mit à rire.

— Nous nous sommes en effet tirés d’affaire, dit-il, mais non sans accident. Et montrant ses compagnons, dont l’un était blessé assez sérieusement : c’est tout ce qui reste de notre équipage.

Dans l’attente d’un récit sensationnel, tous les hommes venaient de se serrer autour de M. Rochon et d’Hindelang.

Et lui raconta l’aventure de l’American-Gentleman, notamment la chasse que leur avait faite le schooner, puis l’abordage, la lutte et enfin l’explosion.

Tous les regards braqués sur le jeune français exprimèrent la plus vive admiration.

Alors d’une pièce voisine un homme sortit, un homme qui attira de suite l’attention d’Hindelang par sa mise soignée, sa physionomie et sa démarche.

Devant lui tout le monde s’écarta respectueusement. Il s’approcha, souriant, près d’Hindelang et lui tapotant l’épaule familièrement dit :