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ses regards, essaya de lui faire comprendre l’idée qu’il avait. Quoi qu’il en soit, il surprit les regards de ses hommes suivre la direction que ses propres yeux leur avaient donnée, il vit des demi-sourires et il eut confiance. Il s’engagea dans l’échelle qui descendait dans les flancs du navire. Les trois anglais suivirent, et l’instant d’après ils avaient disparu tous les quatre. Mais deux minutes ne s’étaient pas écoulées qu’on entendit une sorte de hurlement féroce partir du navire, et l’on vit Hindelang bondir hors de l’écoutille, jeter un ordre rapide à ses hommes, faire retomber le panneau qui fermait la trappe et rouler dessus un gros baril qui se trouvait près de là.

À l’ordre jeté par Hindelang, les hommes de l’équipage s’étaient élancés à bâbord, avaient arraché les grappins du schooner et les avaient rejetés dans le lac.

Et cela s’était passé si vite, que l’équipage ennemi n’était pas encore revenu de sa stupeur ou de son effroi, et que l’American-Gentleman, avec le vent qui devenait meilleur, reprenait sa course vers le Sud. Hindelang avait pensé que le navire ennemi, privé de ses officiers, n’oserait pas lui donner la chasse.

Malheureusement il s’était trompé. Les hommes du schooner, revenus de leurs surprise et comprenant que leurs chefs étaient prisonniers, remontèrent leurs voiles et partirent à la poursuite de l’American-Gentleman. Et la distance était encore si petite qu’Hindelang comprit l’inutilité de son coup d’audace, et il se mit à envisager froidement le pire qui pouvait maintenant lui échoir.

Du sein du navire on entendait les jurons et les rugissements de rage des trois anglais prisonniers qui, avec l’aide de tout ce qui pouvait servir de massue essayaient, mais en vain, d’enfoncer la trappe.

Hindelang souriait.

Alors, du schooner qui avait repris du chemin, partit une volée de balles. Elles ne firent d’autre mal que de trouer les voiles de l’American-Gentleman.

Hindelang commanda à ses hommes d’apprêter leurs armes, car il était décidé à tout sauver ou à tout perdre.

Le schooner, gagnant sans cesse du terrain, décocha une seconde volée de balles qui, mieux dirigées cette fois, tuèrent deux hommes d’Hindelang et blessèrent un troisième.

Le jeune français fit riposter les cinq hommes qui demeuraient valides de leurs pistolets, mais ce n’était qu’un jeu puéril.

Alors Hindelang devant l’inévitable eut une dernière pensée d’audace.

— Mes amis, dit-il à son équipage que le découragement gagnait, mettez un canot à l’eau et gagnez la terre avec notre blessé ; moi, je me charge du reste.

Les hommes obéirent, parce qu’ils eurent l’air de comprendre que l’idée du jeune homme était terrible.

Les marins du schooner déchargèrent leurs carabines sur l’équipage de l’American-Gentleman dont le canot filait rapidement vers la terre, mais leurs balles se perdirent.

Pendant ce temps Hindelang ne perdait pas une minute.

Il repoussa le baril qui maintenait la trappe, souleva celle-ci et livra passage aux trois officiers du schooner. En blasphémant ils sautèrent sur le pont et de leurs regards étourdis cherchèrent leur navire. Ils virent le schooner approcher lentement pour l’abordage.

— Vite ! cria l’officier en chef bleu de fureur, qu’on vienne arrêter cet homme !

L’abordage se fît rapidement. Mais lorsqu’on vint pour s’emparer de la personne d’Hindelang, il fut constaté avec surprise que le jeune homme n’était plus sur le pont.

Il y eut des jurons, des cris de colère, des gestes de menace. On fouilla le pont…

Tout à coup un agent indiqua l’ouverture de l’écoutille où venait d’apparaître le visage blême d’Hindelang.

L’officier en charge du schooner se précipita suivi de quelques hommes qui brandissaient des coutelas. Mais tous s’arrêtèrent subitement saisis d’effroi : derrière Hindelang une fumée noire montait du sein du navire.

L’officier anglais, comprit tout. Il jeta un ordre sauvage…

Mais Hindelang, à la minute même, faisait un bond en jetant ce cri de triomphe ;

— Pour la France !

Il se rua vers le parapet.

Mais il vit devant lui l’officier anglais qui assujettissait un pistolet dans sa main droite.

Il fit un bond énorme, dans sa main droite apparut une hachette qui s’éleva, descendit en sifflant et s’enfonça tout entière dans la poitrine de l’officier.

Il régnait trop d’excitation et de stupeur parmi les hommes du schooner pour que ceux-ci pussent venir à bout d’Hindelang.

Et quand il virent tomber leur chef, l’épouvante les cloua sur place.

Alors ils virent un homme se ruer dans un