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Quand le schooner se fût encore rapproché et qu’il parut possible d’échanger des paroles, l’un des trois chefs du schooner qui, fort probablement en était le commandant, interpella le jeune français en langue anglaise.

— N’avez-vous pas signalé, demanda-t-il, un navire nommé l’American-Gentleman ?

— Ce nom nous est inconnu, répondit Hindelang d’une voix ferme.

L’accent français de notre héros parut créer une certaine impression sur le commandant du schooner. Il se pencha vers un des personnages près de lui et un court colloque suivit. Puis, le commandant reprit en s’adressant cette fois en un français assez correct :

— Vous êtes français, monsieur ?

— Vous l’avez deviné.

— Vous commandez ce navire ?

— J’ai cet honneur comme vous voyez ! répliqua rudement Hindelang qui ne voulait pas avoir l’air de s’en faire imposer.

— Votre nom ? demanda l’officier inconnu.

— Mon nom vous est inconnu, et en vous le disant cela ne vous apprendrait nullement, je pense, l’itinéraire de l’American-Gentleman.

L’autre ne parut pas s’émouvoir outre mesure de l’accent un peu rogue du jeune français. Il esquissa une ombre de sourire pour interroger encore :

— Voulez-vous me permettre d’examiner vos papiers ?

— Je n’ai pas de papiers à faire examiner ! répliqua Hindelang très impatienté à la fin par cet interrogatoire.

— Ho !

Et avec cette exclamation l’officier parut fort étonné.

Une fois encore il consulta le personnage près de lui, puis, regardant froidement Hindelang :

— Monsieur, dit-il, j’ai omis de vous informer que mon navire est un croiseur douanier et nous avons l’obligation d’examiner vos marchandises.

— Monsieur, répliqua Hindelang avec une froide politesse également, nous sommes en eaux américaines et nous n’avons, nous, nullement l’obligation de nous soumettre à vos perquisitions.

L’officier donna des ordres brefs à son équipage. La grande voile du Schooner avait été à demi carguée pour régler la vitesse du petit navire sur celle de l’American-Gentleman. Sur l’ordre de l’officier anglais cette voile fut remontée, et le schooner se rapprocha du vaisseau d’Hindelang.

— N’approchez pas davantage ! commanda celui-ci d’une voix menaçante.

L’autre feignit de ne pas entendre. Il fit un geste de la main, et à ce geste huit hommes exhibèrent huit carabines et mirent en joue les huit hommes d’Hindelang.

— Un seul mouvement de vos hommes, reprit l’officier anglais sur un ton résolu, et je commande le feu !

L’équipage d’Hindelang frémit et regarda avec inquiétude son jeune chef.

Lui avait affreusement pâli, car il venait de perdre l’avantage de l’offensive ; et, à moins de vouer son monde à une mort certaine, il se voyait condamné à subir le caprice et l’affront de ces étrangers. Pour ne pas rugir sa rage, il mordit, violemment ses lèvres, puis gronda :

— C’est bien, monsieur, vous êtes le plus fort !

Le schooner vint se ranger le long de l’American-Gentleman par bâbord, deux grappins furent jetés, les deux vaisseaux assujettis l’un à l’autre et une courte échelle appliquée contre le navire d’Hindelang.

L’officier ennemi, voyant que les hommes d’Hindelang n’étaient pas armés, et assuré que le jeune français n’opposerait pas de résistance, commanda à ses agents d’abaisser leurs armes tout en demeurant dans une prudente attitude. Puis, suivi des deux personnages qui n’avaient pas cessé de se tenir à ses côtés, il monta sur l’American-Gentleman.

Bras croisés, sombre, contenant difficilement sa rage et caressant des doigts une hachette pondue à sa ceinture, Hindelang restait muet.

L’officier anglais ébaucha un sourire moqueur et dit :

— Puisque vous n’avez pas de papiers, jeune homme, vous nous permettrez bien, je suppose, de visiter l’intérieur de votre navire ?

— Faites, monsieur ! dit simplement Hindelang.

— Pardon ! reprit l’autre, je vous prie de nous guider, allez ! Et il indiquait l’ouverture béante de l’écoutille.

— Soit, consentit Hindelang.

Mais alors une inspiration surgit à son cerveau. Ah ! pourvu que ses hommes le comprendraient et agiraient assez vite ! N’importe en gagnant l’écoutille il passa devant l’équipage consterné, et par un jeu de