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— Oh ! oui… vous reviendrez bien vite !

— Oui, je vous le promets, Élisabeth ! prononça tendrement le jeune homme. Et je vous promets de vous rapporter, tels que je les emporte aujourd’hui, mon cœur de soldat et de fiancé, mon âme de Français et… oui, je vous promets encore de vous rapporter les libertés conquises à votre Canada qu’il me tarde de voir et de fouler du pied !

À peine avait-il terminé ces dernières paroles, que M. Duvernay parut. D’une voix profonde et légèrement troublée il dit :

— Mon ami, vous venez de parler encore comme un vrai Français ! Je suis content.

Élisabeth, la poitrine déchirée de sanglots, courut se jeter dans les bras de son oncle en gémissant :

— Mon oncle, mon bon oncle, ne le laissez pas partir !

Elle s’évanouit dans les bras de M. Duvernay.

Pâle et tremblant Hindelang s’approcha, il se pencha sur le beau visage livide d’Élisabeth et la regarda longuement, ardemment avec des yeux qui voulaient pleurer. Puis il leva ses yeux sur M. Duvernay et murmura :

— Vous permettez, monsieur ?…

Duvernay comprit, de la tête il fit un signe d’assentiment.

Hindelang se pencha davantage et posa doucement, pieusement ses lèvres sur les lèvres closes de la jeune fille.

Il se redressa aussitôt, détourna la tête, et un sanglot brisa sa voix quand il dit :

— Pour la France, maintenant, et pour votre Canada, monsieur Duvernay !

— Et pour elle ! compléta Duvernay avec émotion.

Mais Hindelang s’était enfui pour ne pas laisser voir ses larmes.


Fin de la première partie.


DEUXIÈME PARTIE
Dans la lutte

I

L’AMERICAN-GENTLEMAN


La nuit est venue. Nuit d’octobre, froide, épaississement voilée de nuages que charrie un grand vent de l’ouest. Ce vent soulève violemment les eaux du Lac Champlain, si célèbre dans l’histoire militaire de l’Amérique du Nord. Sur la plage et contre les rochers sonores en roulant leur écume les lames mugissent en un soupir qui s’égare dans la tourmente.

Cette plage est déserte.

Toute la nature et tous ces lieux sont déserts.

Nul être vivant n’apparaît.

Là-haut, les monts noirs frémissent sous l’aile rude et rapide des nuages gris, et rien ne trouble leur silence morne que leurs propres gémissements. Entre ces monts et la plage du lac, les pins dressant leur cîme centenaire, les épinettes élevant leur flèche tourmentée, les cèdres craquant sous le poids de leur ramure trop violemment secouée dessinent leur sombre amphithéâtre avec des rumeurs plaintives.

Et la nuit, à mesure qu’elle progresse, semble devenir plus noire et l’ouragan plus impétueux.

L’étranger, qui se fût trouvé à ce moment en ces lieux sauvages et d’aspect si terribles, se serait cru à jamais séparé du monde des vivants, si un signe de vie humaine ne s’était tout à coup révélé à lui.

En effet, là-bas, et comme surgissant des ondes mêmes, une lueur brillait. Oui, l’on pouvait voir sur le lac, et pas très éloigné du rivage, un rayon de lumière. Ce rayon montait, s’abaissait, s’élevait à nouveau ; et parfois l’on eût pu croire, par l’éclat plus limpide qu’il jetait, que c’était une étoile tombée des cieux dans ces eaux furieuses.

Mais non, c’était simplement la lueur d’un falot, et ce falot était accroché au mât d’artimon d’un petit navire rudement balancé par les vagues et difficilement retenu par ses ancres.

Que fait là ce navire ?

Il attend, mais il voguera bientôt. On le prendrait pour un navire-fantôme : le jour on ne le voit pas, il dort dans quelque rade ou crique où on ne le dérangera pas ; la nuit, toutes voilées déployées, il navigue.

Pourquoi ce mystère ?

Pourquoi ? Parce que M. Duvernay a réussi, avec l’aide de ses amis, à charger ce petit bâtiment de fusils américains, de quelques canons et d’une bonne quantité de munitions de guerre.

Ce navire est la propriété d’un gros industriel de Montpellier, de l’État du Vermont, qui l’a mis à la disposition des Patriotes canadiens. Cet industriel — dont le nom fut