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ment, était venue l’estime, puis l’amitié, puis… l’amour !

Oui, Hindelang s’était fortement épris de cette petite Canadienne, fleur blonde et tendre qu’il avait caressée et savourée du regard. De son côté, Élisabeth était devenue follement amoureuse du beau et fier garçon, de ce cœur vaillant, énergique, noble et joyeux.

Car ces deux jeunesses s’étaient senti portées l’une vers l’autre dès le premier abord, toutes deux se ressemblaient sous plus d’un rapport par le cœur et l’esprit, toutes deux se voulaient l’une pour l’autre, et Hindelang, un jour, voulut fiancer la jeune fille.

Elle le voulut également.

Mais… il y avait entre eux un obstacle très grave : Hindelang n’était pas catholique ! C’était non seulement un obstacle grave, c’était un abîme infranchissable pour Élisabeth. Mais le jeune homme promit de jeter un pont sur l’abîme, mieux encore de combler cet abîme qui le séparait d’un bonheur inestimable.

Ce jour, fut donc un beau jour… il fut le plus beau jour de ces deux fiancés !

Mais un autre beau jour viendrait, le jour des épousailles ! Oui, mais allait-il venir ce jour-là ? N’importe ! Hindelang bâtissait de vastes projets qu’il tenterait de réaliser, après qu’il aurait en vainqueur parcouru des champs de bataille, et qu’il aurait rapporté à sa bonne Élisabeth un brevet de victoire !

Soit !

Mais quand fut venue l’heure du départ, de la séparation, l’heure d’aller tenter les hasards de la guerre, alors Élisabeth — heure terrible pour elle — oui, Élisabeth qui, jusqu’à cette heure, n’avait fait que joindre son ardeur à celle de son fiancé, qu’enflammer sa vaillance, qu’applaudir à ses projets de gloire, Élisabeth, à cette minute décisive, eut peur. Elle eut peur parce qu’elle aimait plus qu’elle n’avait pensé ! Elle dit à Hindelang dans une prière amoureuse :

— Non, Charles, n’y allez pas… demeurez avec mon oncle, avec nous !

— Votre oncle, Élisabeth, fit Hindelang avec surprise. Ne savez-vous donc pas que je vais prendre sa place ?

— Il me l’a dit, mais…

S’animant, Hindelang poursuivit :

— Ah ! bien oui, il voulait venir avec nous, faire lui aussi le coup de feu ; je n’ai pas voulu. Il a une famille qui a besoin de lui, il a ici des devoirs et des obligations qui l’attachent, tandis que moi je n’ai rien !

— Rien, vous ? Et votre mère ?

— Elle m’aime tant…

— Et moi, Charles ?

— Je vous aime tant ! répondit tendrement le jeune homme d’une voix caressante.

Hindelang frémit, fit taire les voix d’amour qui cherchaient à dominer les voix du devoir, et dit avec une résolution qui découragea presque la pauvre fille :

— C’est à cause de ces deux amours que je veux partir, que je partirai ! Ma mère, je la connais, me commanderait d’aller me battre. Et vous, Élisabeth…

— Vous ne me connaissez pas, moi ! fit-elle avec un sourire chagrin.

— Pardon ! je vous connais aussi bien que je connais ma mère : vous, Élisabeth, vous ne m’empêcherez pas d’aller faire mon devoir de Français !

— Votre devoir !

— Et d’aller vous conquérir quelque gloire, ma chérie !

— Mais je peux me passer facilement de gloire… C’est vous…

Hindelang l’interrompit avec une caresse de la main :

— Ah ! faites taire ces belles lèvres, je vous prie.

— Je vous les donne, si vous restez !

— Non, Élisabeth. Pourtant vous savez si je vous aime, oui je vous aime presque furieusement, et cependant je ne reste pas. Car, voyez-vous, pour me retenir ce n’est pas mon cœur qu’on garderait, c’est mon sang français qu’il faudrait m’extraire !

— Charles, vous me faites peur !

— Et mon sang, tout mon sang perdu, Élisabeth, je vous le dis, je partirais encore, parce qu’il me resterait mon âme française !

— Ah ! Charles ! Charles ! gémit la pauvre enfant, allez ! partez donc ! je ne vous retiendrai pas ! Mais souvenez-vous que je souffrirai beaucoup !

— Et moi, Élisabeth ? Ah ! non, ne parlez pas ainsi. Vivez heureuse en attendant mon retour !

— Vivre heureuse… avec la pensée sans cesse torturante qu’il peut vous arriver malheur ?

— Malheur ! sourit le jeune homme. Ne dites donc pas de choses funestes ! Tenez ! chère ange ! je suis si jeune, je me sens si jeune, j’ai tellement confiance en ma jeunesse, en l’existence, en l’avenir, que je suis sûr de revenir tout aussi fort et vigoureux que vous me voyez partir !

Élisabeth pleurait, et à travers ses larmes, elle put bégayer :