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sons que nos ennemis songent à édifier pour nous ? s’entêta M. Duvernay.

— On s’évade des prisons, ou l’on en sort de quelque façon, comme vous en êtes sorti, monsieur Duvernay ! Alors, que ne doit-on se sentir doublement trempé pour reprendre l’arme de la liberté ! N’est-ce pas, monsieur ?

— Oui, oui, confessa M. Duvernay. Moi-même je veux me jeter dans la lutte, plus avant encore si possible.

— Et vous, monsieur Rochon ? questionna Hindelang.

— Comme mon ami Duvernay, dès le moment venu, je me remettrai dans le mouvement.

— Je vous suivrai donc, messieurs, puisque c’est convenu, déclara froidement Hindelang en se levant et en grandissant sa taille souple et noble. Dès cette heure vous pouvez compter sur un patriote de plus.

La résolution du jeune homme paraissait tellement irrévocable, que M. Duvernay ne tenta plus d’éloigner ce brave cœur des dangers qu’il redoutait pour lui.

Et l’on se mit à bâtir des projets. Longuement Duvernay fit part au jeune Français de l’organisation secrète dont il était chargé, du travail ardu et délicat qu’il avait à accomplir encore avant que le signal d’appel fut lancé. Il lui parla aussi de la grosse besogne journalière que réclamait la préparation de documents et de rapports qu’il était chargé d’expédier périodiquement aux divers comités de l’association dont il était l’un des chefs, (association qu’on appelait LES CHASSEURS), et qu’exigeait la rédaction d’articles de journaux, en attendant l’heure d’aller reprendre rang dans l’armée de la liberté. Et il invita Hindelang à s’adjoindre à lui dans l’achèvement de cette besogne formidable, tâche que le jeune Français n’eut garde de repousser, qu’il accepta plutôt avec un réel bonheur.

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Lorsque fut venue l’heure de se séparer, vers onze heures, Mme Duvernay invita ces trois patriotes à passer dans la salle à manger où une collation était servie.

En présence de la maîtresse de maison et de sa nièce on mit de côté les affaires sérieuses.

Charles Hindelang se montra joyeux convive. Avec sa parole facile, son imagination active et brillante il raconta une foule d’histoires plaisantes, qui firent rire ses hôtes aux larmes.

Et comme Élisabeth, la nièce de M. Duvernay, était une jeune personne très séduisante, Hindelang ne manqua pas d’une bonne galanterie, fort discrète naturellement et aussi fort courtoise, qui mit la jeune fille sous le charme.

L’on comprend que, dès après le départ d’Hindelang, les commentaires affluèrent sur les lèvres de ces trois personnes : M. Duvernay, sa femme et sa nièce.

— Ce jeune Français est un charmant enfant ! prononça Mme Duvernay.

— Mais c’est un vrai gentilhomme, ma tante ! murmura Élisabeth en rougissant.

— Oui, ma nièce, affirma gravement M. Duvernay, un vrai gentilhomme comme sait les produire la race française !


IV

LA PREMIÈRE CONQUÊTE DE CHARLES HINDELANG


À compter de ce jour, Charles Hindelang fut un intime de la famille Duvernay. Mieux que cela : il fut dès le jour suivant le collaborateur intelligent, assidu, passionné de M. Duvernay, en attendant que l’heure sonnât de prendre les armes et de franchir la frontière.

On avait décidé d’établir en Bas-Canada un gouvernement républicain, après que les affronts et les désastres de 1837 auraient été lavés et les crimes des troupes gouvernementales dûment châtiés.

Mais l’action préparatoire n’était pas facile aux hommes dévoués qui s’en étaient chargés, du fait que le gouvernement britannique avait éparpillé un peu dans tous les coins des États de la Nouvelle-Angleterre, des émissaires et des agents chargés de surveiller les préparatifs qu’on faisait, et de dénoncer et déjouer les plans des chefs patriotes canadiens. Par surplus, ces émissaires du gouvernement britannique n’avaient pas cessé de faire des représentations auprès du gouvernement américain pour que celui-ci leur prêtât main-forte. Les autorités américaines n’avaient donc pu se dérober à ces exigences sans risquer d’affaiblir leur diplomatie avec Londres, diplomatie qui, depuis l’indépendance des États américains, demeurait quelque peu difficile. Car il était de bonne notoriété que les Américains, en général, sympathisaient avec les insurgés canadiens à qui ils ne pouvaient, par le principe même de leur politique, méconnaître le droit de reprendre des libertés qui leur avaient