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rait pour se retrouver, le soir de ce même jour, chez M. Duvernay.


III

UN NOUVEAU PATRIOTE.


Au cours de cette journée-là Hindelang écrivit plusieurs lettres dont l’une, très longue et très tendre, à sa mère. Il lui faisait part des choses qu’il avait apprises sur ses frères canadiens, et comme il était tenté de prêter le secours de son bras à ces frères malheureux. Mais en même temps il voulait la dégager des inquiétudes en l’assurant qu’il saurait prendre soin de lui-même, et en lui affirmant qu’il avait trouvé des sympathies et des amitiés précieuses.

Il passait un peu huit heures du soir, lorsque M. Rochon introduisit Charles Hindelang au domicile de M. Duvernay. Il y fut reçu avec la plus belle courtoisie par Mme Duvernay et sa nièce, Mlle Élisabeth, jolie blonde de 18 ans, intelligente et instruite, et avec l’accueil très affable de M. Duvernay lui-même.

Celui-ci n’avait pas manqué de parler à sa femme et à sa nièce de ce beau et grand jeune homme, et les deux femmes étaient demeurées dans la hâte de connaître ce jeune français dont la sympathie était allée, d’un bond, à la race canadienne. Il va sans dire qu’Hindelang fit à l’instant sur ses hôtes la meilleure impression.

Mais sa jeunesse parut fort émouvoir Mme Duvernay. Aussi, lorsque son mari pria ses deux visiteurs de passer dans une pièce qui servait d’étude, Mme Duvernay l’attira à l’écart pour lui dire à l’oreille avec un accent de prière très tendre :

— Mon ami, vous voyez comme moi que ce jeune homme n’est encore qu’un enfant, et je vous prie de le dissuader et l’empêcher de se jeter dans le tourbillon affreux où vous vous débattez avec vos amis. Ce serait un premier crime de priver une mère de son enfant, et un deuxième de donner cette jeunesse et l’avenir qui lui est dû en pâture aux monstres qui piétinent notre pays.

— Vous parlez avec raison, ma chère amie, et je suivrai votre avis.

Quelques minutes après, les trois hommes étaient réunis et causaient avec une bonne intimité. Mais incapable de maîtriser son enthousiasme, Hindelang se hâta d’amener l’entretien sur les choses, si intéressantes pour lui, dont on avait parlé le matin à l’auberge de l’Aigle Blanc.

— Monsieur Duvernay, commença-t-il, je désire vous informer que j’ai passé la journée à instruire de mes projets ma mère et mes amis de France. Ma résolution est prise, et je vous demande de m’enseigner le chemin à suivre et les moyens à prendre pour me joindre à vos compatriotes qui, me disiez-vous ce matin, préparent une rentrée en Canada. Je ne suis pas riche, mais le peu que je possède, de grand cœur je le mets tout entier dans l’entreprise. Or, vous m’avez dit que vous êtes chargé de recueillir des sommes d’argent destinées à l’achat d’armes et de munitions de guerre. Eh bien ! monsieur, je désire contribuer des trois mille livres sterling que je possède.

M. Duvernay hocha gravement la tête.

— Mon ami, dit-il, j’ai longuement réfléchi dans le cours de la journée, et en revenant à ces réflexions je me trouve forcé de refuser cette trop généreuse contribution de votre part.

En entendant ces paroles, Hindelang tressaillit, et une lueur de déception passa rapidement dans la lumière de ses yeux brillants. Puis, ce désappointement parut susciter un sentiment violent, car sa prunelle étincela. Et il demanda, un peu rudement, rudesse qu’il essaya en vain d’amoindrir par un sourire trop contraint :

— Pourquoi me refusez-vous, monsieur ?

M. Duvernay, tout comme M. Rochon, avait saisi les deux sentiments qui s’étaient succédé dans l’esprit du jeune homme. S’il eût voulu éprouver la sincérité d’Hindelang, il aurait été satisfait de l’épreuve : il était sûr que ce jeune français s’était sans arrière-pensée donné tout entier à la cause canadienne. Il ne voulut pas décourager tout à fait ce jeune ami. Il répondit :

— Je vous prie de ne pas interpréter mon refus comme un mauvais vouloir de ma part et une non confiance en votre honnêteté et votre sincérité. Après bonnes réflexions, j’ai conclu qu’il fallait vous dissuader de vous joindre à nos compatriotes, parce que j’ai compris que ce serait monstrueux de notre part d’accepter de cœur-gai le sacrifice de votre jeunesse et de votre avenir.

— Mais, monsieur, s’écria Hindelang en se levant avec agitation, ce n’est pas un sacrifice que je fais, c’est un plaisir que je me paye !

M. Duvernay et M. Rochon regardèrent Hindelang avec étonnement.