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çais rentra à l’auberge. On y commençait le remue-ménage du matin.

Simon Therrier s’empressa de venir souhaiter le bonjour au jeune homme.

— Alors, vous avez fait une bonne nuit ? interrogea-t-il avec intérêt.

— Excellente, monsieur.

— Je vois ça… on vous reconnaîtrait à peine ce matin.

— Oh ! j’étais si morfondu hier !

— Et… vous allez vous lancer de suite à la recherche d’une position sociale ?

— Cela dépend. Comme je vous ai dit hier, je vais d’abord me mettre au courant des choses et des êtres de ce pays.

— Vous êtes instruit ? interrogea l’aubergiste.

— Un peu, oui.

— J’aurais peut-être quelque chose pour vous occuper dès demain et qui ne demande pas nécessairement des connaissances du pays.

— Vraiment ?

— C’est hier soir que j’ai trouvé la chose. Un de nos compatriotes, comme vous allez voir, qui fait ici le commerce de l’importation des vins et des eaux-de-vie, me demandait hier, au souper, si je n’avais pas l’avantage de connaître un jeune homme qui possède la connaissance des écritures. Je lui ai parlé de vous.

— Merci.

— Est-ce que cela ne vous irait pas ? dites !

— Peut-être bien, parce que je sais faire les écritures. Voudrez-vous me présenter à ce monsieur ?

— Certainement. Tous les soirs, après ses affaires, il vient manger chez moi. Je vous recommanderai ce soir même.

— Merci encore, monsieur Therrier, répondit le jeune homme tout à fait enchanté de cette aubaine et très reconnaissant à cet aimable et secourable aubergiste.

— Bon, c’est entendu, fit avec satisfaction Simon Therrier. Mais vous devez avoir faim, n’est-ce pas ?

— J’enrage simplement, cher monsieur Therrier, se mit à rire Hindelang.

— Suivez-moi au réfectoire et je vous ferai servir.

Quelques minutes plus tard le jeune homme mangeait du plus bel appétit.

Le réfectoire était désert. Mais quand Hindelang fut à peu près à la moitié de son repas, un serviteur introduisit un monsieur. Le personnage salua de la tête et d’un sourire le jeune français, et n’apercevant pas d’autres convives, il commanda au valet de le servir à la table qu’occupait Hindelang.

— À moins, dit-il aussitôt au jeune français, que ma présence à votre table ne vous soit gênante ?

— Mais non, monsieur, pas du tout. Asseyez-vous, je vous prie, je serai enchanté de lier la conversation avec un compatriote.

Le personnage sourit, s’assit et répliqua :

— Je ne suis pas tout à fait un compatriote, car vous êtes français, si je ne me trompe ?

— C’est vrai. Et vous-même, monsieur ? interrogea Hindelang avec quelque surprise.

— Moi ?… je suis justement votre voisin de chambre, sourit placidement l’étranger.

— Ah ! vous êtes ce monsieur…

— Rochon.

— Monsieur Rochon… répéta Hindelang en considérant curieusement cet homme âgé d’une quarantaine d’années, bien mis, de bonnes manières, d’excellente courtoisie, parlant un français aussi pur que le sien, sauf peut-être certaine différence ou nuance dans l’accent. Puis il s’écria avec ravissement :

— Ah ! mais alors, vous êtes ce monsieur canadien de qui m’a dit un mot le propriétaire de cette auberge ?

— Ah ! ah ! fit avec une feinte surprise le canadien, maître Simon vous a parlé de moi ?

— C’est-à-dire qu’il m’a informé que j’avais pour voisin de chambre un canadien, nom que j’entendais pour la première fois.

— Vraiment ? Vous êtes donc débarqué depuis peu de jours ?

— Hier au matin, monsieur.

— Arrivant de France ?

— De Paris et de Londres. Je croyais venir en pays tout à fait anglo-saxon, mais l’on me dit et m’assure qu’il se trouve en Amérique un peuple parlant notre langue de France.

— On vous a affirmé la vérité, monsieur. Le Canada, mon pays, est à quelques cents kilomètres d’ici seulement.

— Eh bien ! je suis ravi que ce pays du Canada soit un pays français !

— Pas tout entier. Depuis que la France a cédé aux Anglais cette terre jadis exclusivement française, sa population est devenue mixte. Notre pays se divise en deux provinces nommées le Bas-Canada et le Haut-Canada. La première est française, avec quelques éléments anglais, la seconde anglaise.

— Mais, monsieur, je croyais que ce qu’il y avait de Français, après que la France eut abandonné ce pays aux Anglais, était retour-