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LE DRAPEAU BLANC

— Si je l’ai donné, répliqua froidement Bougainville, c’est que j’en avais les raisons ; et l’ayant donné, c’est le capitaine Vaucourt qui est chargé de le faire exécuter.

Mais Péan était trop orgueilleux pour s’abaisser jusqu’à demander un laisser-passer à un simple capitaine de milices ; aussi prit-il un air extrêmement offensé pour répliquer à Bougainville :

— C’est bien, monsieur, je tiendrai compte de votre conduite à mon égard.

Et toujours hautain, rageur à l’excès, il quitta la cuisine et se dirigea vers le grand escalier.

Là, il fut accosté par Foissan, et les deux hommes tinrent un rapide colloque. Puis le sieur Péan monta l’escalier et disparut vers l’étage supérieur. Foissan de son côté se rendit à la cuisine. Courbé et ironique il s’approcha de Jean Vaucourt et demanda :

— Monsieur le capitaine veut-il avoir l’obligeance de me fournir un laisser-passer afin que je puisse aller à l’écurie donner de l’œil à mes chevaux ?

Vaucourt reconnut l’individu.

— Tu reviendras tout à l’heure, dit-il, j’ai d’autres permis à donner.

Un peu interdit et inquiet en même temps, Foissan retourna dans la salle.

Alors Jean Vaucourt se pencha à l’oreille de Bougainville et dit :

— Vous avez vu ce Fossini qui se dit Foissan, mais qu’on reconnaît toujours à son accent, et vous vous souvenez que je vous ai dit que cet homme est affilié à Péan dans cette affaire de trahison qu’on est en train de tramer ?

— Oui, je l’ai bien reconnu. Allez-vous lui donner ce permis de sortir ?

— Je voulais vous demander votre avis. Ne pourrait-on pas lui donner ce permis et le faire surveiller ? Peut-être nous mettrait-il sur des indices qui nous aideraient à démasquer plus sûrement les traîtres.

— J’approuve votre idée, capitaine. Donnez-lui ce permis, je le ferai surveiller par l’un de mes lieutenants.

Le capitaine fit appeler Foissan et lui remit un petit carré de papier sur lequel était écrit ce nom : « Vauvert ».

— Avec ça, dit le capitaine, vous pourrez sortir et rentrer autant de fois qu’il vous plaira.

Foissan remercia et s’éloigna.

De suite Bougainville fit venir à lui un jeune sous-lieutenant, lui désigna Foissan et dit :

— Mon ami, ne perdez pas cet homme de vue, et tenez-moi au courant de ses faits et gestes.

Le jeune officier venait de se retirer, que l’aubergiste s’approcha à son tour. Et se courbant, souriant avec un air énigmatique.

— Excellence, annonça-t-il à mi-voix, une grande dame là-haut désire avoir avec votre Excellence une petite entrevue…

— Ah ! ah ! se mit à rire Bougainville, je parie que cette grande dame n’est autre que la belle et séduisante Madame Péan.

Tout juste. Excellence.

— Eh bien ! Maître Hurtubise, la politesse me commande de me rendre au désir de cette jeune dame, veuillez me conduire !

Et, ayant donné à Jean Vaucourt quelque instructions il suivit l’aubergiste au premier étage.

La porte du salon où se tenait la jolie femme était entr’ouverte. Bougainville avait bien pensé qu’il y avait là quelque manège de Péan lui-même avec qui il s’attendait de se trouver face à face. Mais il demeura un peu surpris, après avoir été introduit par l’aubergiste, de se trouver seul avec la belle jeune femme qui lui souriait divinement de ses lèvres humides et rouges.


— XI —

LA SIRÈNE ET LE GENTILHOMME-SOLDAT


Bougainville s’inclina comme s’il se fût trouvé devant Madame de Pompadour.

— Monsieur, dit Mme Péan avec ce sourire qui aurait pu faire frémir un géant de granit, je n’ai pu apprendre l’arrivée en cette auberge d’un gentilhomme tel que vous, sans me permettre de lui offrir l’hospitalité de mon salon d’aventure.

— Madame, répondit galamment Bougainville, ce salon me paraît tout illuminé des éclats de votre ravissante personne et tout parfumé de vous-même ; je sais d’ores et déjà que là où vous êtes, peu importe le lieu les choses s’embellissent rien qu’au reflet de votre beauté.

Ce compliment, bien qu’elle le devinât peu sincère, flatta souverainement Mme Péan.

— Je sais, répondit-elle, que vous possédez les secrets de la galanterie, monsieur de