Page:Féron - Le Capitaine Aramèle, 1928.djvu/47

Cette page a été validée par deux contributeurs.

naissait Aramèle, n’en faites rien je vous supplie, car je vous affirme par tous les saints du Paradis que Miss Theresa n’est plus dans mon auberge, qu’elle est partie depuis longtemps…

— Elle est partie ? dites-vous ?

— Hélas ! un inconnu a failli tuer le lieutenant Hampton qui s’apprêtait à aller reconduire cette douce Theresa chez-vous, et cet inconnu a emmené la pauvre enfant avec lui.

— Un inconnu ! souffla difficilement Aramèle qu’une nouvelle angoisse mordait soudain.

— C’est bien tel que j’ai l’honneur de vous le dire !

— Et il est parti pour la cité, dites-vous ?

— Pour la cité ?… je le pense. Il est parti en cabriolet, monsieur le capitaine !

— En cabriolet !… grogna indistinctement Aramèle.

Dans une rapide vision, il perçut ce cabriolet qu’il avait croisé sur la route en venant au King’s Inn. Aramèle n’en voulut pas demander davantage, il remit sa rapière au fourreau et se rua vers la porte de sortie. L’instant d’après il était dehors et courait sur la route, vers la ville, et après le cabriolet qu’il pensait pouvoir rattraper, tant lui avait paru court le temps qui s’était écoulé depuis qu’il avait fait la rencontre de cette voiture !


XII


C’était bien le cabriolet qui emportait Thérèse et que conduisait le jeune étranger, celui que le capitaine avait rencontré. L’inconnu, après avoir pris si généreusement la défense de l’orpheline contre Hampton, avait ordonné aux domestiques de faire atteler son propre cheval au cabriolet de Mrs Loredane, et il avait aussitôt emmené la jeune fille hors de ce bouge. Et comme elle manifestait encore de l’inquiétude, le jeune homme lui dit :

— Soyez tranquille, mademoiselle, dans une demi-heure vous serez chez-vous et en toute sûreté :

Chemin faisant il s’était fait raconter par la jeune fille son aventure de la journée.

Il avait écouté sans mot dire et n’avait fait aucun commentaire ; mais Thérèse à diverses reprises avait pu voir que son protecteur fronçait terriblement ses sourcils. Puis le silence s’était fait complètement entre elle et lui.

Au bout d’une demi-heure le cabriolet s’arrêtait devant le logis du capitaine. Le jeune inconnu aidait Thérèse à descendre, et elle le remerciait d’une voix tremblante de joie et de gratitude. Le jeune homme s’inclina courtoisement, remonta dans la voiture et reprit le chemin de l’auberge.

Quand Thérèse pénétra dans la salle d’armes, deux cris de joie et de surprise retentirent, et Étienne et Léon se précipitèrent à la rencontre de la jeune fille, puis ils l’entouraient et la pressaient de questions.

Dans sa joie de se retrouver presque miraculeusement au milieu des siens, l’orpheline ne put que pleurer sur le coup. Mais un peu plus tard elle réussit à dompter son émotion et fit la relation de son aventure.

Sombre, Étienne l’écoutait sans l’interrompre. Léon, plus fougueux, poussait souvent des grondements de colère et faisait répéter à la jeune fille un détail qui le frappait plus qu’un autre.

Quand elle eut terminé son récit, Léon s’écria :

— Oh ! Thérèse, si j’avais pu deviner le lieu où vous étiez, je vous assure que j’aurais donné une bonne raclée à ce Hampton ; tout de même, je la lui promets dès que l’occasion se présentera.

— Souvenez-vous, Léon, dit Thérèse avec une pensée d’ardente reconnaissance à l’étranger qui l’avait secourue, que le lieutenant a déjà reçu une bonne et sévère leçon de ce brave inconnu.

— Au fait, reprit Léon, vous ne nous avez pas dit le nom de ce vaillant défenseur.

— Il ne me l’a pas dit lui-même et je n’ai pas osé le lui demander. Je sais seulement que c’est un jeune homme aux manières très distinguées et qu’il est très brave.

— Une chose remarquable aussi, ajouta Léon, c’est que bien peu d’Anglais de cette ville auraient fait pour une Canadienne ce que ce jeune homme a accompli.

Étienne, qui n’avait pas encore parlé depuis que Thérèse avait achevé son récit, prit la parole.

— Quoiqu’il en soit, Thérèse, cet incident devra te servir de leçon, et à l’avenir tu éviteras de te laisser enjôler par les belles façons des étrangères. Les Anglais de ce pays sont nos pires ennemis : les uns ne nous cachent ni leur haine ni leur mépris, les autres, plus rusés, travaillent dans l’ombre à la mort de notre race ; et ceux-ci, pour