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avec Mrs Whittle ? interrogea à son tour Étienne.

— Je n’ai pas vu cette jeune fille.

Étienne ne voulut pas insister, n’étant pas sûr que la femme du major eût amené Thérèse chez elle.

Et les deux jeunes gens s’en allèrent plus inquiets que jamais.

En apprenant l’insuccès de leur démarche, Aramèle bondit avec fureur.

— Ah ! bien, gronda-t-il en esquissant un geste farouche, s’il faut que je mette la ville entière sens dessus dessous, je le ferai et je saurai bien, pardieu ! ce qu’est devenue Thérèse.

Brusquement le capitaine boucla sa rapière, prit son feutre, ses gants, et marcha vers la porte. Avant de sortir il prononça d’une voix menaçante :

— Quand je devrais aller sommer le gouverneur de retrouver Thérèse, j’irai !

Il partit, l’air résolu, terrible.


IX


Qu’était devenue Thérèse ?

Ce n’était pas un hasard, comme on s’en doute bien, qui avait mis Thérèse sur le chemin de Mrs Whittle quelques jours auparavant, mais bien un complot entamé entre elle et son mari pour jeter la jeune Canadienne dans les bras du lieutenant Hampton. Le jour convenu pour l’exécution de ce complot, Mrs Whittle avait emmené Thérèse à sa demeure où était peu après survenu le major avec Hampton. Tout cela était paru si naturel à Thérèse qu’elle n’avait eu aucune défiance à l’égard de ses hôtes, et moins encore envers Mrs Whittle qui sut déployer les plus hypocrites démonstrations d’amitié et jouer une vilaine comédie pour garder l’orpheline à dîner. Et Thérèse, trop naïve, n’avait pu deviner le jeu sournois de Mrs Whittle, et elle n’avait pas été capable de résister aux supplications de la femme du major, à qui elle se croyait très redevable à cause des bontés que cette femme avait eues pour une simple petite étrangère. Thérèse, malgré elle, avait dû se plier aux circonstances. Puis elle se tranquillisa un peu lorsqu’on promit qu’on enverrait une note au capitaine. La jeune fille se soumit donc, mais non sans inquiétude et regrets. Elle se promettait bien déjà, et une fois qu’elle aurait repris sa liberté, que Mrs Whittle ne la reprendrait pas.

Mais n’était-il pas trop tard pour prendre cette résolution ? Certes, mais la pauvre enfant ne voyait encore aucun danger la menacer.

Elle ne pouvait s’imaginer que le billet écrit par Mrs Whittle et destiné au capitaine n’avait été qu’une supercherie pour la tromper ; en effet, ce billet, griffonné à la hâte, contenait des instructions mystérieuses à une soubrette très dévouée à la jeune femme. C’était la petite comédie que n’avait pu soupçonner Thérèse.

Après avoir écrit le billet et l’avoir remis à la soubrette, Mrs Whittle avait reconduit l’orpheline au salon où on allait prendre l’apéritif.

En voyant sa femme et Thérèse revenir, Whittle s’écria :

— Ma chère Katie, peux-tu deviner ce que vient de me proposer le lieutenant ?

— Est-ce au moins quelque chose d’amusant ? interrogea avec une feinte ignorance Mrs Whittle.

— Juge toi-même : il nous invite à aller dîner au « King’s Inn ».

— Vraiment ? fit Mrs Whittle, ravie.

— C’est comme j’ai le plaisir de vous en faire personnellement l’invitation, dit Hampton en lançant un regard ardent vers Thérèse.

— Mais certainement, répliqua avec un large sourire la jeune femme, c’est beaucoup plus amusant au « King’s Inn » que ce ne le sera ici. Que dites-vous de cette invitation mademoiselle Thérèse ?

— Madame, répondit Thérèse d’une voix tremblante, j’aimerais mieux m’en aller.

— Pauvre enfant ! minauda Mrs Whittle, on croirait que vous avez peur de vous perdre en notre compagnie !

— Le King’s Inn est un endroit très élégant, mademoiselle, assura Hampton avec un sourire aimable.

— Vous vous y amuserez grassement, déclara le major avec conviction. Aujourd’hui, ajouta-t-il avec l’accent d’un papa très intéressé au sort futur de sa fille, une jeune personne ne peut faire son entrée dans le monde sans avoir passé par le King’s Inn. Vous y coudoierez un bon nombre de « very select young ladies ». Il y a là le rendez-vous de la plus belle jeunesse masculine. Bref, je peux vous assurer que vous ne le regretterez pas.

— Oh ! fit Mrs Whittle en embrassant Thérèse qui avait envie de pleurer, je suis