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LA PRISE DE MONTRÉAL

pouvait le nier. Il la trouvait même si à l’aise que déjà il reculait tant il lui répugnait de regarder une femme qui se dévoilait aussi effrontément. L’image de Mirabelle, de sa Mirabelle pure et chaste, lui fit lever le cœur sur cette courtisane… du moins c’est ainsi qu’il la jugea sur l’instant. Et il reculait encore, comme s’il eût voulu s’enfuir pour échapper peut-être à la séduction de cette sirène.

Lady Sylvia comprit aussitôt l’effet inattendu de sa petite mise en scène.

— Ne vous en allez pas, Monsieur cria-t-elle, je désire vous parler !

Et d’un bond elle se leva et s’enveloppa dans la tenture de velours.

Maurice D’Aubières sourit.

— J’aime mieux vous trouver ainsi, Madame, car je vous reconnais mieux. Tout à l’heure, je me croyais en face d’une étrangère et j’allais tourner sur mes pas pour chercher Lady Sylvia.

La jeune femme rougit de honte d’abord, puis de plaisir flattée par cette délicatesse du jeune homme. Mais tout au tréfonds de son être elle était tout de même un peu froissée, et froissée contre elle-même ; car elle avait préparé cette scène avec l’espoir de séduire D’Aubières et le captiver à ses charmes, et, tout au contraire elle écartait et repoussait d’elle son visiteur.

Elle fit asseoir le jeune homme sur la couche de gazon, tout près d’elle, et reprit, l’air confus :

— Je vous prie de m’excuser, Monsieur, et il n’est de ma part nulle mauvaise intention. Je vous assure que… sous le rapport de… ce que vous avez pu penser, hésita-t-elle, ma réputation est sans tâche. Vous étonnerai-je en vous avouant que Sir James (son défunt mari) aimait beaucoup à me voir ainsi ?

— Il était votre mari, Madame ! sourit ironiquement Maurice.

— Tandis que vous vous êtes un étranger ?…

— Justement Madame.

— Allons ! se mit à rire placidement la jeune femme, voilà que nous nous comprenons clairement. À présent, venons-en aux choses sérieuses, et j’aborde le motif qui m’a fait vous inviter à venir me voir.

— J’allais vous en prier, Madame.

Un silence se fit. La jeune femme, les paupières demi baissées, observait à la dérobée le jeune homme. Lui, très intrigué par l’aventure qui lui arrivait ne pouvait empêcher les traits de son visage d’exprimer un peu les sentiments qui le dominaient. Pourtant, d’habitude, Maurice D’Aubières réussissait à garder une physionomie impassible dans tous les incidents qu’il traversait. Mais cette fois malgré lui, il demeurait troublé, et ne pouvait point chasser tout à fait de son esprit l’image qui, tantôt, s’était offerte à ses yeux. Sans bien s’en rendre compte, il comparait en lui-même l’image de cette belle femme à l’image de cette jeune fille qu’était sa Mirabelle. Comme beautés plastiques, toutes deux rivalisaient étrangement, et il eut été difficile, en laissant de côté la beauté morale, de faire un choix certain et absolu. Certes, l’amour de Maurice pour Mirabelle pouvait à coup sûr le faire pencher de préférence pour celle-ci mais il n’en aurait pas été de même pour le premier venu. Lady Sylvia se savait belle, et femme mariée, elle avait acquis l’art de la séduction qu’ignore généralement la jeune fille qui n’a pas fréquenté l’école trop savante et souvent perverse de « la société ». Et se sachant belle et connaissant le pouvoir de ses charmes elle pouvait espérer de séduire D’Aubières. Celui-ci eut comme une intuition rapide que cette délicieuse créature tenterait, par un stratagème que seule la femme coquette peut mettre en œuvre, de le détacher de Mirabelle, et il s’imagina qu’il était aimé de cette femme pour laquelle il n’éprouvait, à la vérité, qu’un sentiment d’admiration purement passager. Mais c’est déjà un danger pour un jeune homme de se savoir aimé d’une jolie femme et d’éprouver pour elle une admiration, cette admiration fût-elle la plus passagère. Et naturellement cette hypothèse ne pouvait que flatter la personne de Maurice. Non pas que le jeune canadien fut un présomptueux et qu’il appartient à cette classe de jeunesse, cette classe de jeunes fats qui se figurent que toutes les belles femmes et filles ont jeté sur eux leur dévolu ; mais fait d’une simple chair d’homme comme tous ses semblables, la chair frémissait de plaisir en dépit des résistances de l’esprit. Et, disons-le, sans l’amour de Mirabelle, amour qui pour lui était une cuirasse introuable, Maurice D’Aubières, comme tout autre mortel, se fut laissé prendre aux charmes de la comédienne. Mais cette cuirasse que lui faisait l’amour de Mirabelle