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LA MÉTISSE

Mais déjà MacSon partait d’un grand éclat de rire… un rire strident, qui grinçait, un rire effrayant par la colère et la menace qu’il exhalait. Et ce rire s’étouffa soudain, aussi vite qu’il avait éclaté. Le fermier avait retrouvé sa face dure, et reportant ses regards chargés d’éclairs sur la servante, il demanda d’une voix concentrée, de rage toute tremblante :

— Ah ! c’est ainsi que tu élèves mes enfants, toi ? Réponds. Métisse maudite !

Redoutable, il s’avançait vers la fragile créature qui reculait encore.

Esther se leva vivement et intervint :

— Vous voyez bien, papa, que c’est un accident ; Héraldine ne l’a pas fait exprès !

La jeune fille avait prononcé ces paroles en anglais.

MacSon sourit, sa physionomie parut s’éclairer, et il se mit à rire bénévolement.

— C’est bon, Métisse, fit-il en ricanant, c’est un accident. N’en parlons plus.

Il se mit à siffler un air de chasse écossais et sortit.


V


Qu’on nous permette ici une légère digression qui, en même temps sera une note explicative pour l’intelligence sûre des faits et événements qui composent ce récit.

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Quelques mois avant que Louis Riel établit son gouvernement provisoire du Manitoba, un fils de la vieille Écosse — rugueux montagnard — arrivait au pays avec l’espoir d’y faire une fortune facile et rapide.

L’insurrection des Territoires du Nord-Ouest donnait, à ce moment, fort à penser aux autorités dirigeantes du Canada. La Puissante Compagnie de la Baie d’Hudson venait de céder au gouvernement Impérial de la Grande-Bretagne ses immenses territoires du Nord-Amérique. La cession avait été consentie moyennant argent, concessions de terres, reconnaissance de certains droits et privilèges à la Compagnie. D’après les conventions stipulées et arrêtées, les colons établis depuis nombre d’années — pour la plupart métis français — dans cette partie des Territoires qui, un peu plus tard, allait devenir la province du Manitoba, se voyaient menacés de perdre les terres que, par un dur et long labeur, ils avaient défrichées et fertilisées. Par la transaction accomplie ces terres, en effet, devenaient domaine du gouvernement fédéral du Canada, et elles étaient susceptibles de distribution parmi les colons étrangers qui en demanderaient un droit de propriété. Une foule d’Anglais de l’Ontario et d’Écosse jetaient depuis longtemps un œil d’envie sur ces beaux et fertiles champs. La haine des Orangistes écossais contre ces colons catholiques de descendance française avait déjà enfanté de sourdes hostilités. On voulait chasser ces vigoureux défricheurs et les faire reculer plus au nord vers les terrains largement boisés et incultes. Comme on avait chassé l’indigène de sa bourgade et de son wigwam, de même on désirait éloigner le Métis. Et l’on oubliait… oui, on oubliait que ces braves Métis, depuis leur prodigieuse croissance, avaient été constamment et inlassablement une barrière solide, immuable, contre certaines bandes d’Indiens envahisseurs. Furieux d’avoir été chassés par les blancs, très vindicatifs, ces Indiens, très souvent, sortaient de leurs bois du nord, prenaient la route des provinces de l’Est faisant retentir leurs chants de guerre et leurs cris de mort ; ils allaient franchir des distances énormes, traverser le Haut-Canada et le Bas-Canada, semer partout les sanguinaires déprédations. Les populations anglaises et françaises de l’Est canadien tremblaient. Mais les Métis étaient là… tout en protégeant leur pays contre ces sauvages rancuniers, ils opposaient une digue formidable au flot terrible qu’ils rejetaient ensuite vers le nord. Et combien de fois ces mêmes hommes courageux firent œuvre d’endiguement ?… Leurs services incalculables et si méritoires étaient du jour au lendemain ignorés, une main indigne faisait claquer le fouet sur leurs têtes, une imprécation leur était jeté, la force étrangère et barbare allait les rejeter parmi ces mêmes sauvages du nord qu’ils avaient si longtemps contenus contre les ingrats.

C’est à cet instant qu’on vit ces sublimes chefs métis, Riel, Lépine, Dumont, d’autres encore, se dresser pour protester contre l’empiètement et pour défendre leur patrimoine et leurs foyers : c’était leur juste droit !

Notre montagnard écossais était arrivé au moment où l’on faisait l’enrôlement de volontaires pour aller mettre des halles sous la peau des Métis. Sans métier, sans travail, sans argent pour acquérir une ferme, cet écossais, du nom de MacSon, s’enrôla dans l’armée du général Middleton. Au contact de camarades et de compatriotes envieux, fanatiques, plus sauvages que les Sauvages d’Amérique, ce MacSon se nourrit d’une haine féroce, et ce fut avec une joie immonde qu’il tua, égorgea, se vautra dans le sang de victimes sans défense. Il acquit même une certaine renommé, dans cette armée d’assassins : on l’avait surnommé, ce dont il se glorifiait, le Bourreau MacSon ou MacSon l’égorgeur ! La rébellion étouffée, MacSon réussit, à cause de ses services, à se faire céder une ferme dont le propriétaire métis fut chassé comme un chien.

Maître d’un bien si honorablement gagné, le Bourreau écossais fit venir sa femme d’Écosse ainsi que son fils unique, Malcom, jeune homme de 18 à 20 ans, robuste, et de carrure redoutable déjà.

Deux ans après ses « glorieux exploits », c’est-à-dire en l’année 1887, l’Égorgeur, terrassé soudainement par une maladie inconnue et mystérieuse, rendit son âme au diable.

Son fils Malcom MacSon, hérita du bien du Bourreau Écossais, comme il avait déjà hérité de sa haine contre le français et le catholique. Mais à l’égard du métis, que l’on considérait comme de race très inférieure, la haine était plutôt faite de mépris. Tuer un métis, c’était tuer un sauvage, c’était tuer un chien ! Dans l’esprit de ces étrangers venus d’Angleterre ou d’Écosse, ces colons paisibles et travailleurs de la Rivière Rouge, ne faisaient pas partie de la race humaine. Il ne serait même pas téméraire d’ajouter que beaucoup d’Anglais de l’Ontario pensaient de même à cet époque. Et