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la corvée

Tout à coup Beauséjour releva la tête et regarda Mme Laroche.

— Ma tante, dit-il à voix très basse j’ai une idée. Voulez-vous me laisser seul avec elle ? Je pense que je pourrai lui rendre le courage et l’espoir.

— Je ne demande pas mieux, mon cher ami, et je souhaite que tu réussisses là où, même avec mes aptitudes de femme, je n’ai pu réussir moi-même. Au reste, je ne saurais plus que tenter pour lui rendre ce courage et cet espoir. C’est bon, je te laisse avec elle.

Elle se leva pour s’approcher de Clémence. D’une main maternelle elle caressa les cheveux dorés de la jeune fille et lui dit sur le ton le plus tendre :

— Ma belle enfant, permettez-moi de vous laisser avec mon neveu qui vous tiendra compagnie pendant quelques minutes. Il est jeune et gai et mieux que moi, peut-être, pourra-t-il vous consoler dans vos chagrins.

Clémence leva sur la bonne dame ses beaux yeux mouillés, sourit à Beauséjour comme pour lui exprimer d’avance un remerciement, et dit, la voix larmoyante :

— Madame, je compte bien que vous excusez mes chagrins et mes pleurs. Au lieu de vous être reconnaissante pour la bonté que vous m’avez témoignée, je vous accable de mes tourments. Ah ! que voulez-vous, je suis tellement torturée par l’inquiétude et suis si faible que je ne sais pas me contenir.

— Vous êtes tout excusée, mon enfant, et je pense que je comprends vos tourments. Je vous laisse donc à mon neveu pour un instant et souhaite qu’il puisse être une agréable distraction pour vous.

Mme Laroche se retira aussitôt.

Quand Beauséjour se vit tout à fait seul avec la jeune fille, il quitta son siège et s’approcha du canapé. Il avait maintenant retrouvé son audace ordinaire, mais rien dans son maintien ou sa personne n’annonçait la fanfaronnerie ; il était simple et souriant, et nul doute que Clémence dût le trouver plus séduisant encore que le matin de ce jour.

Il s’assit sur le canapé tout près d’elle, prit une de ses mains qu’elle ne lui refusa pas… une main qu’elle parut même lui abandonner en rougissant un peu, et lui parla ainsi :

— Mademoiselle Clémence, vous parliez de mourir tout à l’heure, oubliez-vous que vous appartenez à la vie ? Vous êtes très jeune et très belle, vous avez une mère qui vous adore, un père qui vous aime jusqu’au sacrifice, une sœur qui vous vénère, et, devant vous, toute la vie qui vous sourit et vous retient, et vous parlez de mourir ? Non, même si vous le souhaitez dans un moment de désespoir, vous n’avez pas le droit de vous soustraire à ce qui vous rattache ici-bas, et vous laisser mourir à votre âge ce serait faire injure à votre Créateur, à vos parents qui vous chérissent et à tous ceux qui vous aiment, ce serait faire outrage à toute la nature que vous ornez et égayez comme l’une de ses plus belles parures. Ne parlez donc plus de mourir, je vous en supplie, et essayez de réagir contre ce découragement passager. Tenez, je vous ferai part de suite d’une assez bonne nouvelle : aujourd’hui j’ai vu votre père.

— Ah ! vous avez vu mon père ! fit la jeune fille en soupirant soudain de joie et d’espérance. Lui avez-vous parlé de moi ?

— Oui. J’ai dit que la Providence vous avait mise sur ma route et lui ai nommé la personne à qui je vous ai confiée ce matin. Votre père à cette nouvelle a paru éprouver une très grande joie.

— Mais alors, s’écria la jeune fille en tremblant d’impatience, puisque vous avez vu mon père et puisque vous savez où il est menez-moi à lui, voulez-vous ? Ah ! j’ai tant hâte de le revoir et de l’embrasser !

— Soyez tranquille, vous le verrez demain.

— Pourquoi pas ce soir ?

— Ce soir, impossible. Il est à la caserne où nul ne pourrait être admis.

— Mais sa fille, on l’admettra, je pense.

— Pas davantage, hélas ! Ah ! mademoiselle, on voit bien que vous ne savez rien de cette terrible loi militaire qui régit la Corvée. Non, mademoiselle, impossible pour vous comme pour moi d’entrer dans la caserne. Et si vous osiez vous y présenter, on vous en refuserait l’entrée, on vous humilierait, on vous insulterait peut-être.

— Mais alors demain, comme vous avez dit ? soupira la jeune fille déçue.

— Demain, oui, mais ce n’est pas sûr. Tout à l’heure j’ai dit demain comme j’aurais pu dire après demain. D’abord demain, voyez-vous, je veux retrouver votre sœur. Après je vous promets que vous reverrez votre père, car croyez que je vais tout tenter pour le faire libérer de