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LA BESACE DE HAINE

Flambard fut tout à coup pris par un souffle d’humeur. Il tendit son poing vers le plafond, grogna une imprécation et s’apostropha ainsi :

— Nigaud que je suis ! Et je dois faire une drôle de figure dans cette boîte à fous !… Il y a là-haut deux trompettes qui doivent se crever le ventre de rire ! Oui, je les vois se tordre ! Ils ont bien raison, tonnerre de Dieu ! L’imbécile de Flambard !… Faut-il être un peu lourdaud tout de même pour donner en plein jour dans les trous de taupe !… Oui, décidément, j’en perds… je vieillis ! Et mon nez ?… Il manque de flair ! J’ai dû en perdre un morceau une demi-aune peut-être !

Il tâta son nez, grogna et poursuivit :

— Je le tiens toujours, mais il est bien un peu bouché. Au fait, ce Deschenaux — pas canaille du tout le bandit — avait le rhume ; pourquoi ne l’aurais-je pas également ? Oui, j’ai dû prendre le rhume dans ce sacré passage ! Mais c’est égal ! je dois bien m’avouer que j’en perds. Il est vrai que ça s’explique : je veux aller vite et rondement en besogne, car je suis pressé, et pan !… culbute ! chute ! et flûte ! me v’là une brute…

Flambard fit un effort terrible pour retirer une jambe qui enfonçait plus que l’autre dans le cloaque puant.

Il se prit à réfléchir encore. Seulement, il était fort incommodé sur ses pieds qui enfonçaient sans cesse dans la boue. S’il tirait l’un, l’autre enfonçait plus profondément.

— Bon ! murmura-t-il, il ne manquerait plus que ça que le diable me tirât par les pieds jusqu’en enfer !

Il se mit à ricaner. Il se tut presque aussitôt en percevant un certain bruit pas loin de lui ! C’était même tout près que partait ce bruit, comme de l’autre côté de la muraille, à gauche ! Oui, Flambard entendait un bruit qu’il crut bientôt reconnaître pour du marteau heurtant de la pierre.

Il ne perdit pas de temps. Du pommeau de sa rapière il frappa fortement la muraille, puis il cria :

— Hé ! là ! de l’autre côté… qui est là et qui frappe ainsi du marteau pour empêcher les gens de dormir leur soûl ?

Le bruit cessa.

L’instant d’après, une voix arriva jusqu’à Flambard.

— Y a-t-il là quelqu’un qui parle ? demanda la voix.

— Pardieu ! répondit Flambard, je crois bien. Qui êtes-vous ? Ne pouvez-vous me laisser dormir un brin ?

— Pardon ! mon gentilhomme, repartit une voix quelque peu confuse, mon compagnon et moi nous sommes en train de réparer la citerne sur l’ordre de monsieur l’intendant.

— Ah ! ah ! vous êtes les maçons qu’a fait venir ce matin monsieur l’intendant ?

— Oui… c’est-à-dire non… c’est monsieur Deschenaux qui nous a embauchés.

— Tiens ! ce bon Deschenaux ! murmura Flambard assez haut pour être entendu des maçons. Dites un peu, mes amis, ajouta-t-il en élevant la voix, quelle heure est-il donc ?

— Il peut bien être dix heures de matinée, et même un peu plus.

— En ce cas, je me lève et je vous prie de m’ouvrir la porte.

— Quelle porte ? interrogea le maçon étonné.

— Sacredieu ! la porte de cette chambre. Je ne suis pas venu ici en passant à travers la muraille.

— Mais… nous ne voyons aucune porte !

— Ou c’est moi qui ne la vois pas ! Car j’ai oublié de prendre un bougeoir, et, vu qu’il n’y a pas de fenêtre, je cherche vainement la porte dans cette noirceur.

— Et vous ne la trouvez pas ?

— Pardieu, non !

Dans la cave voisine de l’oubliette les deux maçons avaient déposé leurs outils, et, très surpris de savoir qu’il y avait là tout à côté une chambre et que cette chambre n’avait pas de porte, se consultèrent à mi-voix.

— Ce bourgeois, dit l’un, doit être un ami de monsieur l’intendant ; je suppose que dans une fête hier soir il aura passé par-dessus bord, il en est encore tout fol et soûl !

— Le mieux à faire pour l’aider à se tirer du naufrage, dit l’autre, serait de desceller une pierre.

— Je ne vois pas d’autre moyen.

— Mon gentilhomme, dit à haute voix l’un des maçons, nous ne trouvons pas d’autre moyen que celui de desceller l’une des pierres de votre chambre !

— Hein ! s’écria Flambard, vous n’allez pas, je pense, briser les murs de ma chambre !

Les deux maçons se mirent à rire.

— Le bonhomme est encore tout chaviré de sa cuite ! dit l’un.

— C’est signe qu’il n’a pas eu le temps encore de vider son outre !

— Non… et j’aime mieux ça : il aura probablement au bout des doigts une bourse qui, notre besogne finie, nous permettra d’emplir les nôtres à notre tour !