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lier, mais vous pourrez toujours savoir à la porte qui il est et puis le retrouver en la cité.

Lee père Croquelin monta dans la voiture et l’attelage partit au trot.

Malgré la bonne volonté du cocher et quelques vigoureux coups de fouet dignement appliqués sur la croupe de la Grise, le cabriolet arriva à la Porte du Palais deux minutes en retard : le cavalier avait disparu. Mais le père Croquelin avait pu voir la direction qu’il avait prise. Aussi, sauta-t-il brusquement en bas de la voiture pour s’élancer vers l’angle de la rue où il avait aperçu en dernier lieu Deschenaux. Mais ce fut peine perdue, le cavalier n’était plus visible. Le père Croquelin s’informa auprès de quelques piétons, nul ne paraissait avoir vu le cavalier en question. Après avoir durant un quart d’heure fouillé rues et ruelles dans un certain rayon, l’ancien mendiant décida d’aller rejoindre Flambard sur la rue Saint-Louis. Il prit une rue qui y conduisait, lorsqu’il s’arrêta, très surpris et très joyeux, en reconnaissant le cheval bai de Deschenaux attaché à un poteau de pierre et devant une petite maison qu’il ne connaissait pas.

— N’importe ! se dit-il, je tiens le numéro !

Mais comme la rue avait une physionomie bourgeoise, et que lui, le père Croquelin, tout vêtu de haillons, pouvait paraître suspect aux passants ou aux habitants du voisinage, il se glissa dans un passage obscur pour attendre la sortie de Deschenaux.

Dix minutes s’écoulèrent, puis l’ancien mendiant vit Deschenaux sortir de la maison, remonter à cheval et se diriger cette fois vers le Palais de l’Intendance.

— Bon, se dit le père Croquelin, je sais maintenant où il va. Ce qui reste à savoir, c’est à qui appartient cette maison.

Profitant d’un moment où la rue était déserte, il passa et repassa devant la maison pour l’examiner du coin de l’œil. Puis il descendit la rue dans l’espoir de rencontrer quelque domestique ou quelque femme de ménage qui le renseignerait sur le propriétaire de la maison. Mais la rue demeurait déserte. En revenant sur ses pas, l’œil toujours fixé sur la petite maison, il en vit sortir tout à coup un homme vêtu d’un large manteau dont le bas était relevé par le fourreau d’une épée. L’homme était sorti précipitamment, comme s’il eût été fort pressé, et rapidement il avait paru prendre la direction du Palais de l’Intendance.

— Je ne serais pas étonné, pensa le père Craquelin, que ce fût le propriétaire.

Il précipita sa marche pour essayer de rattraper l’homme et de le reconnaître. Mais il le vit s’engouffrer dans une ruelle plus loin et disparaître. Le père Croquelin se trouvait à ce moment juste devant la porte de la maison, cette porte était entrouverte. Entre la rue et la maison il n’y avait qu’un tout petit parterre sans palissade, de sorte que l’ancien mendiant n’eut qu’à faire quelques pas pour se trouver devant quatre marches de pierre qu’il monta, et devant la porte entr’ouverte dans laquelle il frappa rudement.

Il venait d’avoir l’idée d’appeler un domestique et de répéter la petite comédie qu’il avait jouée avec le jardinier inconnu une demi-heure auparavant.

Mais personne ne vint à son appel. Il pouvait entendre des bruits d’ustensiles partant du fond de la maison, mais il ne voyait personne. La porte ouvrait sur un petit vestibule dans lequel le père Croquelin entra sans crainte, car il en avait vu bien d’autres.

Une fois dans le vestibule, il heurta du poing un mur pour attirer l’attention du personnel de la maison. Personne ne se montra. Cependant, le père Croquelin profitait de cette solitude pour lorgner les choses et étudier les lieux. Il vit une porte au fond, et il pensa que cette porte devait communiquer avec la salle à manger et les cuisines. Il se dit que si l’on ne venait pas bientôt, il irait frapper à cette porte. À droite, il y avait également d’autres portes, mais elles étaient fermées. À sa gauche il en vit une qui était entre-baillée. Il glissa un œil dans l’entre-bâillement. C’était un petit salon, désert à cette minute et sombre. Le père Croquelin poussa la porte et jeta un rapide regard autour de lui : il vit des fauteuils, des divans, des panoplies, des portraits, des rayons où se trouvaient quelques livres. Il entra et marcha vers une petite table sur laquelle il voyait des albums, des papiers et des livres. Sur l’un des albums il lut ce nom avec un tressaillement de joie :

Fernand de Loys.

Au-dessus du nom il distinguait une couronne de vicomte.

— Bon ! se dit-il, je sais où je suis : c’est-à-dire chez monsieur le vicomte de Loys.

Et le père Craquelin allait retourner vers le vestibule, quand son regard perçant et curieux découvrit une porte tout ouverte qui donnait sur une chambre à coucher. Et cette chambre était claire, attendu qu’on avait écar-