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tant que moi où je vais, puisque vous tentez de me désarmer !

Et comme Deschenaux se rapprochait encore…

— Arrière ! rugit-elle toute frémissante.

— Que non pas, chère Hortense ! ricana Deschenaux.

Il réussit à saisir le mince poignet de la main qui tenait l’arme brillante, et il serra assez fort ce fragile poignet pour que la main se desserrât et laissât tomber la dague.

— Oh ! vilain… gémit sourdement la jeune fille avec des éclairs pleins ses beaux yeux.

Deschenaux ramassa promptement l’arme et la fit disparaître dans ses poches.

— Là ! dit-il, soyons raisonnable !

Mlle Pierrelieu se laissa tomber sur un siège pour se mettre à pleurer.

Mettant un sourire railleur à ses lèvres, Deschenaux vint s’asseoir près d’elle.

Elle le repoussa avec un cri de rage.

— Allez-vous-en, misérable ! Ne m’avez-vous pas trompée ?

— Vous êtes jalouse, Hortense, et la jalousie vous rend injuste et folle !

— Je ne suis pas jalouse ; seulement, je vous crois indigne de mon amour !

— Calmez-vous, Hortense, et écoutez-moi !

— Non, non… je ne veux plus vous voir ! Vous me devenez odieux ! Quittez cette maison et ne remettez jamais les pieds, entendez-vous ?

Elle se leva, séchant ses pleurs, mais frémissante encore.

Deschenaux perdit son sourire sardonique et pâlit. Décidément les choses se gâtaient tout à fait.

Il fit quelques pas brusques par le salon, puis il vint s’arrêter devant Mlle Pierrelieu et demanda sur un ton menaçant :

— Me chassez-vous pour toujours, Hortense ?

— Toujours… oui, pour toujours ! Où sont les promesses que vous m’avez faites ? Fuyez mes yeux, scélérat !

— Soit, répondit Deschenaux en haussant les épaules avec dédain, je m’en vais. Je m’en vais, mais vous le regretterez, Hortense… vous le regretterez, pensez-y !

— Moi, regretter ! cria Mlle Pierrelieu avec fureur. Prenez garde que ce ne soit vous-même qui regrettiez le premier ! Si, après vos promesses, vous avez préféré cette femme qui ne peut que vous mépriser, n’espérez plus rien de mon amour que vous avez tué… oui, tué ! Car, je vous le dis, vous n’aurez ni moi ni l’autre !

— Ni l’autre !…

Deschenaux éclata de rire.

Mais ce rire était plein de rage et de menaces. Il s’élança tout à coup sur Mlle Pierrelieu, saisit violemment ses mains et, les serrant avec force, il grinça, terrible :

— Hortense Pierrelieu, souvenez-vous ce qu’est votre père en nos mains ! Songez à quelle misère et à quelle déchéance je peux vous réduire, vous et votre père, si ce mariage entre vous et moi ne se fait pas !

— Malgré vos menaces, monsieur, rugit la jeune fille, il ne se fera pas… jamais ! Vous avez tué mon amour !… Allez-vous-en, je vous le répète !

— Bien ! gronda Deschenaux avec un accent effrayant.

Et, devenu soudain fou d’une passion violente, et peut-être aussi pour se venger de Mlle Pierrelieu, Deschenaux se jeta contre une porte, l’ouvrit d’un coup de pied, pénétra dans une salle, puis déjà il gagna un escalier.

— Arrêtez ! arrêtez !… hurla Mlle Pierrelieu qui venait de s’élancer à sa suite.

Deschenaux ne répondit pas, il n’arrêta pas sa course. Quatre à quatre il grimpa l’escalier. Au premier palier, sans prendre le temps de s’orienter comme s’il eût su à l’avance vers quel point il se dirigeait, il bondit vers une porte fermée et l’ouvrit d’un coup d’épaule.

Un cri de femme retentit… cri poussé par Héloïse qui venait de se mettre au lit.

Deschenaux, livide, fou peut-être, vacillant, les yeux désorbités, s’arrêta devant la silhouette surprise et effrayée de la jeune femme qui, en costume de nuit, sautait hors de son lit.

Une veilleuse seulement éclairait sur une table posée au chevet du lit.

La jeune femme d’une voix digne et grave demanda :

— Que signifie, monsieur ?

Avant que Deschenaux pût répondre, la voix indignée de Mlle Pierrelieu s’élevait :

— Misérable !… Chenapan !… Ribaud !…

Et Mlle Pierrelieu en furie surgit, se jeta sur Deschenaux comme une hyène enragée, le saisit à la gorge, et serra de toute sa force…

Pouvait-elle lutter contre Deschenaux ?… Lui, avec un juron, la saisit à la taille — taille si frêle qu’elle craqua pour ainsi dire — fit lâcher prise et la rua dans un passage voisin de la chambre.

Mlle Pierrelieu roula sur le parquet en jetant un cri déchirant.