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la belle de carillon

eurent lieu le lendemain, et la cérémonie religieuse fut célébrée dans la salle d’armes que, selon les besoins, on convertissait en chapelle. Tous les officiers de l’armée étaient présents. De tous les personnages que nous connaissons il ne manquait que Mme Desprès ; la veuve du Commissaire ne s’était pas sentie la force d’assister au service funèbre, et encore moins celle de suivre la dépouille mortelle de son mari au lieu de la sépulture. Mais Isabelle était là, dans sa longue robe noire. La pâleur de son visage la faisait ressembler, elle si menue, si délicate, à une poupée de cire. Mais qu’elle était belle cette gracieuse poupée, et combien fragile, dans son chagrin, elle avait l’air : nul n’eût osé la toucher de crainte de la voir se briser au moindre contact.

Puis, six officiers se chargèrent du cercueil pour aller le porter dans la fosse qui avait été creusée non loin du lieu où le duel avait tourné en une fin si inattendue et si tragique. Le cortège se forma. Isabelle se plaça d’elle-même immédiatement après les porteurs. Alors d’Altarez, la voyant seule, s’approcha et offrit son bras.

La jeune fille en levant ses yeux humides et tristes sur le jeune homme, aperçut derrière lui la silhouette grave et fière du Capitaine Valmont.

— Monsieur d’Altarez, murmura-t-elle avec un sourire reconnaissant, je vous remercie de cette attention de votre part. Mais je vois là votre ami…

Et assez haut pour être entendue du Capitaine canadien elle ajouta :

— Au fait, Capitaine d’Altarez, permettez à votre ami le Capitaine Valmont de m’offrir son bras !

Et, se disant, elle regardait Valmont avec un sourire invitant.

D’Altarez se troubla visiblement et recula, mais nul ne vit son trouble, car tous les yeux se trouvaient fixés sur la belle enfant. Et Valmont vint à son appel… Quoi ! déjà la jeune fille se rappelait la promesse que lui avait faite le jour précédent le Canadien, « que, si elle avait besoin de lui, de l’appeler, et lui accourrait… » Et lui, Valmont, n’oubliait pas sa promesse.

— Mademoiselle, dit le capitaine canadien en s’approchant, c’est pour moi un honneur dont je ne me reconnais pas digne. Mais puisque vous daignez m’y convier, je m’empresse de me rendre à vos désirs qui, pour moi, sont des ordres désormais.

Et, galamment, il offrit son bras à Isabelle. Celle-ci s’y suspendit aussitôt avec une grâce charmante et en même temps, aurait-on pensé, avec une confiance sans bornes. Lorsque le cortège se mit en marche, Isabelle recommença de pleurer. Valmont lui souffla quelques consolations à l’oreille, mais la jeune fille ne paraissait pas l’entendre ; elle marchait en chancelant, et n’eût été le bras solide de Valmont, elle n’aurait pas été capable de faire cinq pas sans tomber.

Mais Isabelle n’était pas seule à chanceler : derrière le cortège, le dernier de tous, seul et livide, venait d’Altarez. Oui, il chancelait lui aussi… de désappointement et, peut-être, de jalousie. Quoi ! était-il possible qu’Isabelle lui préférât Valmont ? D’Altarez, à cette pensée atroce, sentait son cœur se fondre comme s’il eût été posé sur un feu de charbon. Mais fier, et possédant encore l’orgueil de sa race, il n’eût voulu pour rien au monde qu’on surprît les secrets de son cœur et les tourments de son esprit. Il se raffermit sur ses jambes et commanda à son masque un air indifférent. Quand on atteignit le lieu de la sépulture, le jeune homme avait repris à peu près sa physionomie ordinaire.

La dernière cérémonie fut courte ; en moins de vingt minutes le cercueil avait été descendu dans la fosse et celle-ci comblée. Puis le cortège s’apprêta à revenir au fort.

Jusque-là Isabelle n’avait pas cessé de pleurer malgré toutes les paroles de réconfort que lui avait chuchotées Valmont. Mais alors, avec une énergie et une volonté qu’on ne lui connaissait pas, la jeune fille sécha ses larmes et leva ses yeux brillants et doux sur son cavalier.

— Monsieur le Capitaine, dit-elle avec un sourire plus doux encore que l’effluve de ses yeux, je vous remercie, et j’ajoute que si vous avez commis une faute, ou, mieux, si vous croyez avoir commis telle faute, cette faute est désormais oubliée et pardonnée. Adieu, Capitaine ! conclut la jeune fille en dégageant discrètement son bras.

Et elle fit un prompt mouvement comme pour s’éloigner. Mais elle parut se raviser aussitôt. Amplifiant son bon et beau sourire, elle reprit :

— Non, Capitaine, je n’ai pas le droit de vous dire adieu… Mettons que nous nous