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la belle de carillon

Mme Desprès, en grand deuil, paraissait… elle était tout en pleurs. Plus loin, sur un canapé, Isabelle sanglotait, le visage penché sur un mouchoir déjà tout imbibé de larmes.

À la vue du jeune homme, la veuve du Commissaire s’écria sur un ton de reproche :

— Ah ! monsieur, vous qui vous disiez notre ami, pouvez-vous m’expliquer comment il est arrivé que vous ayez servi de second au meurtrier de mon mari ?

Cette apostrophe inattendue frappa durement le jeune homme. Il devint très pâle et ne put, sur le coup, trouver le premier mot de cette explication que lui réclamait la malheureuse veuve. Interloqué, il regarda d’abord Mme Desprès avec surprise, puis Isabelle qui, à son entrée, avait levé vers lui un visage tout inondé de larmes, mais un visage qui, en même temps que l’expression de la douleur, manifestait un plaisir de cette visite. La pâleur de la jeune fille s’empourpra légèrement, et elle daigna sourire au jeune homme.

D’Altarez s’inclina gracieusement et, parvenant à retrouver l’usage de la parole, il répondit à la veuve qui le regardait avec un regard défiant :

— Madame, avant de vous offrir mes sympathies ainsi qu’à mademoiselle, je m’empresse de vous affirmer que l’on m’a calomnié de même que l’on calomnie le Capitaine Valmont. Il est très vrai, Madame, que je suis votre ami, mais je suis aussi l’ami de Valmont à qui je dois la vie. Lorsque j’ai été instruit de la chose et que mes services comme second étaient requis, j’ai tout tenté pour empêcher cette rencontre malheureuse, mais inutilement, vous le voyez. Alors mon devoir, Madame, m’a contraint à accompagner Valmont sur le terrain.

— En ce cas, mieux que quiconque, vous devez savoir comment se sont passées les choses ? Qu’avez-vous vu, dites ?

— J’ai vu votre mari se jeter sur l’épée du Capitaine Valmont, rien de moins, Madame, rien de plus.

— Mais cette rencontre… le Capitaine Valmont l’avait provoquée ?

— Ceci, Madame, est un autre point sur lequel je ne saurais formuler de jugement.

— Maman, intervint la jeune fille, vous savez bien que tout le blâme dans cette affaire ne doit pas retomber sur le Capitaine Valmont.

— Oh ! j’espère bien, répliqua Mme Desprès avec un regard foudroyant à sa fille, que tu ne prendras pas la défense du meurtrier de ton père !

— C’est une accusation bien injuste, si l’on tient compte des paroles que vient d’émettre le Capitaine d’Altarez, reprit Isabelle. N’oubliez pas, maman, « qu’il a vu mon père se jeter contre l’épée du Capitaine Valmont » !

— C’est bon, Isabelle, je ne voudrais mettre en doute les affirmations du Capitaine d’Altarez. Tout de même, ajouta la veuve avec obstination, il faudra que cette affaire soit tirée au clair. Aussi, ai-je demandé à Monsieur de Montcalm de faire un procès au Capitaine Valmont.

— Madame, dit d’Altarez, voulez-vous me permettre un conseil ? Oubliez donc cette tragique affaire, puisqu’elle est irrémédiable !

— Hé monsieur, s’écria la veuve avec impatience, il vous sied bien d’intercéder en faveur de votre ami à qui vous devez un devoir de reconnaissance ; mais, d’un autre côté, souvenez-vous que cet ami a fait une veuve et une orpheline !

— Certes, répondit d’Altarez, c’est là un grand malheur. Plus que d’autres, peut-être, je déplore la perte que vous venez de faire d’un mari cher et d’un père bon et dévoué, et veillez bien croire que vous avez, vous-même, Madame, et mademoiselle Isabelle, toutes mes sympathies. Heureusement, et pour vous plus que pour bien d’autres, Madame, le malheur n’est pas toujours sans compensation. Regardez, Madame, celle que la Providence vous a laissée pour vous aider à supporter les dures épreuves de ce monde !

En prononçant ces dernières paroles d’Altarez s’était tourné vers Isabelle.

La jeune fille sourit encore à travers ses larmes au jeune officier et répondit :

— Merci, Monsieur, pour toutes ces bienveillantes paroles et les généreux sentiments que vous exprimez. Seules désormais, maman et moi, dans la lutte de la vie, nous avons en effet besoin de sympathies qui nous seront un réconfort et un encouragement.

Un silence suivit entre les trois personnages. Mme Desprès s’était assise pour se replonger dans sa douleur et pour pleurer. Un peu plus loin, Isabelle toujours écrasée sur le canapé essayait, mais vainement, de