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L’ÉTRANGE MUSICIEN

lisait sur les traits pâlis de sa mère adoptive était pour lui une torture.

La jeune femme l’attira à elle, l’assit sur ses genoux, le pressa contre elle avec force, et, silencieuse et pleurante, se mit à le couvrir de baisers.

— Mon cher enfant… mon cher enfant… put-elle murmurer au bout d’un moment, combien je me suis ennuyée de toi ! Ah ! dis-moi… dis-moi, veux-tu ? que tu l’aimes bien ta mère !

En voyant les larmes couvrir les joues de la Chouette, Louison ne pouvait contenir les siennes. Et il ne rendait pas à la jeune femme ses caresses, il se laissait faire et ne disait mot. On pouvait voir un souci sur les traits délicats de son visage, comme, par exemple, s’il eût voulu confier quelque chose qui le tourmentait et qu’il n’osait pas dire.

— Pourquoi ne me réponds-tu pas, mon Louison ? lui demanda la jeune femme en appuyant ses lèvres sur le front blême.

— Ah ! Je t’aime bien… oui, je t’aime bien… balbutia enfin l’adolescent. Et j’ai eu bien du chagrin, et j’ai bien souffert de ton absence. Mais… mais…

Il ne répondit pas de suite. Il fermait les yeux, roulait son front sur le sein de la jeune femme, et sa gorge exhalait parfois un lourd sanglot.

— Quoi ? Quoi encore ? interrogea avidement la Chouette qui devinait que l’enfant avait quelque chose à dire, et quelque chose qu’il craignait de dire.

— Quoi ? Quoi ? répéta la jeune femme, devenue très inquiète. Que veux-tu dire ? Parle ! Qu’as-tu, mon enfant, oui qu’as-tu ? car tu ne me sembles plus le même !

— Ah !… ma… !

— Dis, dis, maman… Dis comme avant, mon pauvre petit !

— Non ! non !… Oh ! maman… Ah ! mais pardonne-moi la peine que je pourrai te faire… mais…

— Mais… quoi ? quoi ? quoi ?

L’adolescent enfouit son front le plus possible dans le sein de la Chouette et murmura presque indistinctement :

— Tu n’es pas ma mère…

La Chouette poussa une exclamation de douleur, tout comme si quelqu’un lui eût enfoncé un poignard dans la poitrine.

— Ah ! malheureux, que dis-tu ! fit la jeune femme d’une voix éteinte.

Comme si elle eût été vraiment frappée au cœur, elle eut l’air de s’évanouir. Mais tout à coup, elle repousse Louison, se lève, se penche vers lui et dit sur un ton sourd, tremblant, méconnaissable :

— Sais-tu bien, Louison, ce que tu viens de dire ?

— Hélas… gémit le pauvre enfant, je savais bien que je te ferais de la peine, et c’est pourquoi je ne voulais pas le dire !

— Et tu crois ce que tu as dit ?

La Chouette chancelait…

— Je le crois, parce que… je connais ma mère… ma vraie mère !

La Chouette jette un nouveau cri de douleur. Puis elle bondit, court et va se jeter sur le lit de Flandrin sur lequel repose toujours son petit… son vrai petit à elle. Et là, elle gémit, elle sanglote, elle pleure.

Abattu sur un siège, Louison pleure aussi.

II


Une longue heure s’est écoulée.

Louison est assis près de la table, sur laquelle est posée la lampe. Notons que le logis de Flandrin Pinchot n’a qu’un rez-de-chaussée et qu’une pièce unique, mais spacieuse. Or, la table se trouve à l’extrémité opposée à celle où l’on voit, dans un angle, le grand lit commun des époux, et dans l’autre le petit lit blanc de Louison.

Le collégien ne pleure plus. Le front dans la main, le coude sur la table, il est absorbé en ses pensées. On voit à peine son visage sur lequel l’abat-jour de la lampe jette une ombre. Et le logis est à peine éclairé, et au bout opposé de la pièce tout est sombre.

Louison ne pouvait voir que très vaguement la silhouette de sa mère adoptive toujours étendue sur son lit à côté de son petit. Ah ! son petit, son cher petit, son vrai petit, celui-là… comme il dort bien ! Ah ! il dort si bien et depuis si longtemps que la jeune femme s’inquiète peu à peu. Depuis deux heures de relevée, alors qu’on naviguait vers Québec, l’enfant n’a pas mangé, il n’a pas cessé de dormir. Et il dort si paisiblement que la Chouette ne l’entend pas. Il est vrai que l’enfant est toujours enroulé dans le châle de laine bleue. La Chouette, avec ses soucis, ses préoccupations, ses craintes, ses regrets, n’a pas songé en arrivant à dérouler le châle. Et là, encore, elle n’y pense pas. Que voulez-vous, elle en a si gros sur le cœur !

Et elle pleure encore… Ah ! ces larmes, pourra-t-elle jamais en arrêter le flot ? Et elle pleure, parce que Louison connaît sa vraie mère, parce que Louison ne pourra plus l’aimer, ou du moins pas autant qu’il l’avait aimée jusqu’à ce jour ! Elle pleure, parce qu’elle regrette de plus en plus la sottise qu’elle a faite de quitter son foyer et son mari… son mari qu’elle aime sans cesse… son mari qui lui manque plus que jamais… son mari dont elle voudrait les caresses et les baisers… son mari, à son tour, parti, et parti pour l’on ne sait où ! Elle pleure, parce qu’elle sait qu’elle a péché, parce qu’elle craint de ne pouvoir être pardonnée jamais, et elle pleure parce qu’elle se sent seule et abandonnée ! Ah ! comme on est frappé par là où l’on a frappé ! Elle savait bien, la coquine, en quittant son foyer, que son Flandrin souffrirait et pleurerait, et elle s’en était réjouie en son tréfonds ! Elle avait cru exercer une vengeance ! Ah ! comme cette pauvre vengeance se retournait contre elle à présent ! Elle avait abandonné son mari, et lui, à son tour, l’abandonnait… il était parti ! Oh ! comme elle allait souffrir désormais !…

Et c’étaient là les pensées qui tourmentaient la Chouette.

Tout était silence dans la ville basse et haute.