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JEAN DE BRÉBEUF

dente qu’il retourna et retourna atrocement…

Alors ce colosse qui, pendant seize ans, avait fait trembler les forêts et ses habitants féroces, rendit sa belle âme à Dieu… ou plutôt il alla lui porter cette âme comme la plus pure et la plus exquise des fleurs.

Les tortionnaires avec rage jetèrent ce géant sur le bûcher.

Le supplice avait duré un peu plus de trois heures.

L’Araignée, tremblant, venait de s’approcher pour regarder ce cadavre… Longtemps le jeune chef iroquois avait été dévoré de jalousie et de haine contre le pouvoir surnaturel que semblait posséder le Père Noir. Il eût voulu dompter ce pouvoir qui diminuait tant sa supériorité. Cette puissance mystérieuse que décelaient les gestes et les paroles du missionnaire le subjuguait, l’irritait, et il essayait de se convaincre qu’il pouvait en avoir raison en forçant le prêtre-apôtre à crier grâce. Oh ! comme il aurait triomphé alors ! Car alors il n’eût existé d’autre pouvoir supérieur au sien ! Mais à mesure qu’avançait le supplice du Père Noir, l’Araignée commençait à douter de sa propre supériorité. Une autre supériorité planait au-dessus de la sienne ! Ah ! ce Dieu que prêchait et qu’adorait cet homme en robe noire, existait-il donc vraiment ? Il eut peur de l’admettre, car cette admission eût été pour lui une défaite. Mais lorsque Jean de Brébeuf, sans la moindre défaillance, toujours souriant, toujours priant son Dieu, exhala le dernier soupir, doucement comme un souffle qui s’éteint, le jeune indien sentit tout à coup peser sur lui comme une suprême malédiction. Cette puissance terrible dont il avait douté, qu’il avait narguée et qu’il avait voulu détruire le domina tellement que son cœur fut rempli d’effroi. Il fit entendre une effroyable imprécation, puis, baissant la tête, courbant ses épaules, il s’enfuit dans la forêt comme s’il eût été saisi de la plus grande épouvante.


XX

LES TRISTES RESTES


Trois jours s’étaient écoulés. Les Iroquois avaient repris la route de leur pays, sans chef, car l’Araignée avait mystérieusement disparu. Au village de Saint-Ignace il ne restait plus que des cendres froides et des ossements d’êtres humains.

Deux personnes s’avancèrent douloureusement au travers de ces cendres et de ces ossements. C’étaient Gaspard Remulot et Marie.

— Voilà, dit tout à coup Gaspard en montrant un crâne rôti tenant à peine à un corps carbonisé.

Tous deux pieusement s’agenouillèrent devant ces lamentables restes.

Marie pleura longtemps.

Puis, respectueusement ils ramassèrent ces ossements sacrés, les mirent dans une peau de cerf et s’en allèrent.

Et du grand apôtre des Hurons il ne resta que son sang congelé et un peu de cendres, mais cette divine semence était éternelle.

FIN.