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JEAN DE BRÉBEUF

troupe s’arrêta sur le bord d’un ravin profond. Sur le bord opposé elle pouvait apercevoir des silhouettes humaines s’agitant dans la clarté du feu. Mais elle était encore trop loin pour reconnaître à qui elle avait affaire.

— Franchissons le ravin, suggéra Gaspard, et nous serons suffisamment rapprochés pour voir ce qui se passe par là.

La petite troupe s’engagea dans la pente abrupte et très obscure.

À ce moment des cris gutturaux montèrent dans le grand silence des bois.

— Je pense bien, dit Gaspard, que ce sont nos Iroquois. Nous allons leur causer une belle surprise. Ils doivent être loin de s’imaginer que nous nous sommes mis à leur poursuite par une nuit pareille.

— Fort probablement aussi, dit le missionnaire, qu’ils ne se doutent pas que l’enlèvement de Marie nous est connu.

Il fallut un quart d’heure pour traverser le ravin.

Lorsque la troupe eut atteint le bord opposé, elle se trouva suffisamment rapprochée pour reconnaître les dix guerriers de l’Araignée. Les Iroquois dansaient autour du feu en lançant des cris de joie. Le jeune chef demeurait un peu à l’écart, debout, bras croisés, sombre. Jean de Brébeuf vit le chef iroquois et ses guerriers, mais il ne put découvrir Marie. Un tressaillement de joie l’agita. Peut-être, pensa-t-il, que Jean Huron avait réussi à reprendre Marie ? Mais Gaspard disait :

— Père, je vais me faufiler au travers de ces troncs d’arbres, me rapprocher encore et tâcher de m’assurer si Marie est là ou non.

— C’est bien, consentit le missionnaire, va, mais sois prudent.

Gaspard disparut sans faire de bruit.

Les huit guerriers hurons, impassibles en apparence, attendaient les ordres du Père Noir, car ils n’obéissaient qu’à lui.

Au bout de dix minutes Gaspard revint auprès de ses compagnons.

— Père, dit-il, Marie est là. Je l’ai vue assise dans l’ombre sur un tronc d’arbre.

— Ah ! ah ! fit le missionnaire violemment ému.

Il se mit à réfléchir, puis il dit :

— Je veux la voir aussi, afin que je puisse mieux prendre mes dispositions. S’il y a moyen de la ravir à ses ennemis à leur insu, ça vaudra mieux, car je ne veux pas qu’il y ait du sang répandu.

Il recommanda à ses Hurons de demeurer là prêts à répondre à son appel, et, accompagné de Gaspard seulement, il se glissa à travers les arbres vers la clairière où dansaient les guerriers iroquois. Bientôt il lui fut possible de voir la jeune huronne.

Marie, en effet, était assise sur un tronc d’arbre à quelques pas du jeune chef iroquois ; elle demeurait les coudes sur les genoux et la tête dans les mains. Pleurait-elle ? Le missionnaire le pensa, et de nouveau son cœur s’émut vivement.

— Gaspard, murmura-t-il, je pense qu’en nous glissant au travers de ces fourrés nous pourrions arriver inaperçus auprès de Marie et l’emporter avant que les iroquois ne se soient aperçus de notre présence.

— Je pense de même, répondit Gaspard. En avant donc, il ne faut pas perdre de temps ! Tout de même, Père, j’ai une forte démangeaison d’aplatir une balle sur le front de l’Araignée. Voyez, quelle belle cible !

— Non… je te le défends, Gaspard ! Il n’est pas permis de tuer, à moins que nous n’ayons à défendre notre vie, tu le sais. Ensuite, tu tuerais probablement l’Araignée, mais tu risquerais de faire tuer par représailles Marie. Essayons de nous approcher de la pauvre enfant !

Mais à la même minute Gaspard saisit le bras du missionnaire et dit :

— Par ma foi ! qu’est-ce cela ? N’est-ce pas Jean Huron ?…

Il indiquait une silhouette humaine qui, à la clarté du feu, venait de se détacher nettement à côté de l’Araignée.

Jean de Brébeuf frémit.

Et la scène qui suivit fut si rapide qu’elle apparut imaginaire.

Oui, c’était bien Jean Huron qui profilait sa taille près du jeune chef iroquois.

La danse et les cris des Iroquois cessèrent tout à coup. Il y eut d’abord un moment de surprise. Puis les guerriers ennemis coururent à leurs armes. Mais déjà l’Araignée et Jean Huron fonçaient l’un sur l’autre en poussant chacun un cri féroce. La lutte ne fut pas longue, elle dura à peine vingt secondes. Un guerrier iroquois leva soudain un terrible tomahawk et l’asséna de toute sa force sur la tête de Jean Huron, qui lâcha son adversaire et