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JEAN DE BRÉBEUF

rusé, adroit et terrible. Et son message était une preuve éclatante de son adresse, car personne, pas même Marie, ne pouvait expliquer comment ce morceau d’écorce était parvenu à la jeune fille, ou comment il avait été apporté et introduit dans le village. Marie l’avait trouvé sur le seuil de sa porte. Qui l’avait déposé là ? On se le demandait avec une épouvante superstitieuse ! Pas un étranger n’était pénétré dans la place. Les enfants qui jouaient dans les ruelles du village n’avaient remarqué ou vu aucun inconnu s’introduire dans l’enceinte de la palissade. Les quatre factionnaires eux-mêmes qui, le jour, montaient la garde aux quatre angles de la bourgade, n’avaient rien découvert d’étrange. Et, pourtant, il avait bien fallu que quelqu’un pénétrât dans la place pour laisser le message devant la porte de la jeune huronne. Et ce quelqu’un ne pouvait être que l’Araignée lui-même !

Mais la confiance qu’on avait dans le Père Noir et ses paroles apaisèrent les craintes, et chacun retourna à ses occupations interrompues par l’arrivée des trois voyageurs.

Jean de Brébeuf, sachant combien l’oisiveté était pernicieuse chez les aborigènes, avait dès les premiers temps de sa mission laborieuse institué le travail obligatoire parmi eux. Cette institution n’avait pas été chose facile, car l’indien est paresseux. Il aime à rester devant son feu. Le travail lui est en horreur, hormis la chasse et la pêche, et encore à ces occupations applique-t-il souvent ses femmes et ses enfants. Il ne saurait s’astreindre à aucune tâche de durée. Il lui en coûte même de casser des branches d’arbre pour allumer son feu.

Jean de Brébeuf enseigna l’amour du travail en enseignant l’amour de la religion. Et avec persévérance qui a marqué toute son œuvre gigantesque, il finit par habituer le sauvage au travail. Mais il n’y alla qu’à petites doses. Donnant lui-même l’exemple, il arma ses Hurons de la hache et les mena à la forêt toute proche. Les arbres tombèrent peu à peu, la forêt recula de jour en jour laissant un sol riche capable de produire les plus belles moissons. À ce rude travail, le missionnaire n’employait que les plus vigoureux de ses sauvages. À d’autres il confiait le soin de courir les bois et d’en rapporter le gibier nécessaire à la subsistance de la petite colonie. Il en employait aux réparations de la palissade, à la construction de cabanes à mesure que la population augmentait. Il les dirigeait avec une douceur et un tact admirables. Les uns s’occupaient dans l’intérieur de la palissade à la fabrication d’arcs et de flèches, d’autres bâtissaient des canots, d’autres encore s’occupaient à la confection d’objets d’art, tel qu’à ciseler des os, à façonner et à polir des pierres rares, à travailler des coquillages. Enfin, tous les hommes valides avaient une occupation quotidienne quelconque. Jusqu’alors les femmes indiennes, que leurs maris considéraient comme des esclaves créées pour les servir, avaient toujours été chargées des plus durs travaux. Jean de Brébeuf releva la femme, la tira de sa déchéance et la présenta au mari comme une compagne digne de son estime. Elle ne fut plus obligée de courir la forêt ou de s’occuper aux rudes besognes. Elle fut employée à tanner les peaux de gibier, à confectionner des mocassins et des vêtements pour elles-mêmes, et des vestes et des culottes pour les hommes et les enfants.

Lorsque Jean de Brébeuf arriva parmi ces peuplades barbares, il les trouva nues pour la plupart. Les hommes ne portaient qu’un pagne, c’était généralement une peau de bête quelconque attachée aux reins et tombant vers le milieu des cuisses. Les femmes, quand elles n’étaient pas entièrement nues, roulaient autour de leur corps une peau de gibier retenue sous les seins par une lanière. Voilà pour le vêtement d’été. Quand venait l’hiver, les hommes endossaient une sorte de veste en peau de castor avec la fourrure en dedans et portaient une culotte de peau de chevreuil ; des jambières et des mocassins achevaient le vêtement. Les femmes s’habillaient généralement de la même façon. Et ce costume était à peu près général dans toutes les tribus de l’Amérique du Nord.

Il était un grand nombre de ces peuplades qui ne pouvaient souffrir un vêtement quelconque ; aussi dès l’approche de l’hiver s’empressaient-elles d’émigrer vers le sud : la Floride, le Golfe du Mexique, le Texas et, souvent, l’Amérique Centrale. Au reste, d’ordinaire ces peuplades étaient originaires de ces contrées, et elles n’avaient pu s’acclimater aux hivers septentrionaux dont la rudesse contribua dans