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lors plus qu’on ne s’imagine d’ordinaire : ainsi vous pouvez leur donner, par des paroles qui seront aidées par des tons et des gestes, l’inclination d’être avec les personnes honnêtes et vertueuses qu’ils voient, plutôt qu’avec d’autres personnes déraisonnables qu’ils seroient en danger d’aimer : ainsi vous pouvez encore, par les différens airs de votre visage, et par le ton de votre voix, leur représenter avec horreur les gens qu’ils ont vus en colère ou dans quelque autre déréglement, et prendre les tons les plus doux avec le visage le plus serein, pour leur représenter avec admiration ce qu’ils ont vu faire de sage et de modeste.

Je ne donne pas ces petites choses pour grandes ; mais enfin ces dispositions éloignées sont des commencemens qu’il ne faut pas négliger, et cette manière de prévenir de loin les enfans a des suites insensibles qui facilitent l’éducation.

Si on doute encore du pouvoir que ces premiers préjugés de l’enfance ont sur les hommes, on n’a qu’à voir combien le souvenir des choses qu’on a aimées dans l’enfance est encore vif et touchant dans un âge avancé. Si, au lieu de donner aux enfans de vaines craintes des fantômes et des esprits, qui ne font qu’affaiblir, par de trop grands ébranlemens, leur cerveau encore tendre ; si, au lieu de les laisser suivre toutes les imaginations de leurs nourrices pour les choses qu’ils doivent aimer ou fuir, on s’attachoit à leur donner toujours une idée agréable du bien, et une idée affreuse du mal ; cette prévention leur faciliteroit beaucoup dans la suite la pratique de toutes les vertus. Au contraire, on leur fait craindre un prêtre vêtu de noir, on ne leur parle de la mort que pour les effrayer, on leur raconte que les morts reviennent la nuit sous des figures hideuses ; tout cela n’aboutit qu’à rendre une âme foible et timide, et qu’à la préoccuper contre les meilleures choses.