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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

à son cœur d’enfant n’épancha point pour jamais le suc de la souffrance et de la poésie ? Sans doute, le génie du Tasse nous révèle ce qu’il y eut de meilleur dans l’esprit de Porzia. Cette mère si belle, si douce et si triste, mourut. Le Tasse n’oublia ni cette séparation ni cette mort. Nos douleurs ne s’effacent pas, elles sombrent, et, quand une tempête remue les flots de notre âme, elles reparaissent, après des années, telles qu’aux premiers jours, debout et armées.

L’enfance et la jeunesse du poète se passèrent à Bergame, à Pesaro, à Padoue, à Bologne. Il écrivit des dialogues amoureux, un poème de Renaud, avant d’être le chantre d’Aminte et de Jérusalem ; il fut attaché au cardinal Louis d’Este, puis à son frère Alphonse, duc de Ferrare. Tragique et mystérieuse est cette vie du Tasse : il aima, chanta et souffrit. D’énigmatiques figures de femmes passent dans sa destinée. Une Lucrezia Bendidio, une Laure Peperara évoquent en lui d’amoureux poèmes. Lucrezia et Éléonore d’Este, sœurs d’Alphonse, jouent dans cette existence un rôle sur lequel on discute encore. En son immortelle Armide, on nous dit qu’il faut reconnaître, magnifiée et transfigurée par la poésie, Lucrezia d’Este, duchesse d’Urbin.

Voici donc la jeune sœur et l’héritière des Falérine et des Alcine. À proprement parler, elle n’est pas une fata, une fée, comme ses deux aînées ; elle est une maga, comme la Melissa de l’Arioste. Mais nous savons qu’il y a beaucoup de la Fata dans la Maga, beaucoup de ces sortes de magiciennes dans ces sortes de fées.

Et ce qui nous oblige à nous arrêter devant elle, c’est qu’elle est en possession de tout l’héritage