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Il est de l’essence de l’image de contenir quelque chose d’éternel. Cette éternité s’exprime par la fixité et la stabilité du trait, mais elle peut aussi s’exprimer, de façon plus subtile, grâce à une intégration dans l’image même de ce qui est fluide et changeant. C’est à cette intégration que la calligraphie emprunte tout son sens. Elle part à la recherche de l’image-pensée. « En Chine » — dit M. Salles — « l’art de peindre est avant tout l’art de penser. » Et penser, pour le peintre chinois, veut dire penser par ressemblance. Comme, d’autre part, la ressemblance ne nous apparaît que comme dans un éclair, comme rien n’est plus fuyant que l’aspect d’une ressemblance, le caractère fuyant et empreint de changement de ces peintures se confond avec leur pénétration du réel. Ce qu’elles fixent n’a jamais que la fixité des nuages. Et c’est là leur véritable et énigmatique substance, faite de changement, comme la vie.

Pourquoi les peintres de paysages atteignent-ils une si grande vieillesse ? se demande un peintre philosophe. « C’est que la brume et les nuages leur offrent une nourriture. »

La collection de M. Dubosc suscite ces réflexions. Elle évoque bien d’autres pensées encore. Elle servira prodigieusement la connaissance de l’Est. Elle mérite de durer. Le Musée du Louvre, en l’acquérant, vient de consacrer ce mérite.

walter benjamin.
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CHRONIQUE MUSICALE
ravel et les sortilèges.

« Écoute, écoute ! C’est moi,
c’est Ondine qui frôle de ces
gouttes d’eau les losanges sonores
de ta fenêtre… »

S’il y a quelque chose de stupéfiant dans l’évolution de Ravel, c’est bien la rapidité avec laquelle il trouve la perfection. Songeons que la Habanera de la Rapsodie espagnole, avec ses appogiatures inouïes, date de 1895. L’Alborada del Gracioso est de 1906, l’éblouissant Gaspard de la nuit de 1908, et il nous sera bien permis de dire que le maître n’a pas fait de grands progrès depuis ces chefs-d’œuvre ; jamais, sauf peut-être dans le Trio, l’art de Ravel n’a trouvé une forme aussi achevée, aussi exquise d’un bout à l’autre. Tandis que Debussy