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confiaient leurs difficultés, chacun se plaignait du pays voisin qui montrait tant de mauvais vouloir, etc. Cependant, on ne désespérait pas d’aboutir. C’est ainsi que, malgré nos doutes, nos expériences, parce que le désir de vivre était tenace au fond de nous, nous voulions croire. Il y a un temps pour toutes choses. Nos maîtres se lassèrent de nous débiter de belles histoires — peut-être n’était-ce plus très utile, beaucoup d’entre nous paraissaient endormis. Peu à peu, le ton se modifia ; avec les crises économiques, dont on se refusait à accuser les vrais responsables, avec le fascisme, la guerre montra son visage, s’enhardit, s’installa. Aujourd’hui, la voici qui se présente comme une fatalité, comme une nécessité, parfois même comme une espérance. Au printemps, alors que je faisais en Île-de-France un voyage à bicyclette, je m’arrêtai dans une auberge. Un paysan me montra son journal où, en grosses lettres, on parlait des intrigues allemandes dans la Sarre et d’une histoire rocambolesque de documents volés et retrouvés dans un canal. « Alors, me demanda cet homme, qui semblait n’avoir presque jamais quitté son obscur village, ils veulent prendre la Sarre ? ils veulent remettre ça ? »

Les menées diplomatiques, les discours, les mensonges, ne sont pas très différents de ceux de 1914. C’est alors qu’il faut parler de fiasco et s’en indigner. Certes, de la guerre de 1914-1918, il reste mieux que des monuments aux morts, des légendes, des témoignages de reconnaissance officielle. Un peuple a su se délivrer de ses oppresseurs, et aussi bien de son passé. Des livres ont pu dénoncer et flétrir les horreurs du front, les manœuvres de ceux qu’on nomme « les marchands de canons ». Je me plais à penser que nos maîtres eux-mêmes ont aidé à notre vengeance par l’étalage de leurs sottises, de leurs contradictions, de leurs ignorances. Les documents ne nous manquent plus pour les juger ; nous ne croyons ni à leur générosité, ni à leur désintéressement, ni à leurs