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TÉMOIGNAGE



De 1914 à 1918, les hommes ne connurent plus leur âge, mais l’année de leur classe de recrutement ; pas beaucoup mieux leur nom, mais leur numéro matricule. Tous, ils acceptaient le destin en série qu’on leur avait fabriqué au 1er août ; ils avaient perdu bon gré mal gré leurs petites habitudes, et, enrégimentés, numérotés jusque dans la mort, ils vivaient de « grandes heures ». Je ne pouvais pas rester en dehors de ce mouvement ; à la façon de mes aînés, je me répétais : « Moi, je suis de la classe 18. » J’avais pu espérer ne pas être mobilisé. Le 5 août, mon père m’avait quitté en disant : « Je pars, pour que toi tu ne fasses jamais la guerre. » Deux ans plus tard, il me conseillait cependant de « devancer l’appel », afin de pouvoir choisir mon corps — il possédait une triste expérience du métier militaire ! Je me rappelais ses paroles ; mais déjà ce n’était plus notre première déception, notre premier échec.

C’est ainsi qu’au front, si j’eus à partager le sort de la classe 17, du moins ce fut dans un régiment d’artillerie, avec plus de chances qu’un fantassin de sauver ma peau ! Je restai environ six mois à Poitiers puis rejoignis, dans la zone des armées, un groupe en formation. Au début de l’automne 1917, le groupe monta prendre position dans le secteur du Chemin des Dames, à Oulches.

En août 1914, j’étais depuis deux ans apprenti serrurier, presque « petite main ». Mon père étant parti, je vivais seul avec ma mère ; j’avais trouvé rapidement du travail au « Nord-Sud », je savais me débrouiller.