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payé quatre francs par jour, uniquement aux travaux de dégrossissement qu’exécutent les apprentis ou des manœuvres. Puis, quitter le chantier sous le fouet de son ennemi, c’eût été lui donner une satisfaction que manifestement il voulait. Non. Plutôt crever à la tâche !

La récompense ne tarda pas à venir toute seule. Le dernier jour de la semaine, alors qu’Adrien nettoyait à la soude caustique la vieille peinture d’un portail, le patron l’aperçut et se mit en colère. Il appela le contremaître :

— Pourquoi cet homme perd-il son temps à de semblables besognes ? Il est un bon « façadier ». Mets-le tout de suite sur la grande échelle, au côté ouest de la façade.

On travaillait au bâtiment de l’Hôtel de France, avenue de la Victoire. Et ce fut là, et le jour même, qu’Adrien dut quitter le chantier, mais d’une façon imprévue et baroque.

La journée tirait à sa fin. Adrien perché au sommet de l’échelle, blanchissait à la chaux le second et dernier étage de l’édifice. En dessous de lui, un autre ouvrier, bon camarade, faisait le raccord avec le premier. Et, tout en bas, un troisième homme barbouillait le rez-de-chaussée. D’un ouvrier à l’autre il pouvait y avoir un écart d’un ou deux mètres. Qui des trois secoua sa brosse pleine de chaux et arrosa copieusement un coquet colonel qui justement passait en dessous, évitant les barrières et se moquant des écriteaux avertisseurs, l’enquête ne put l’établir. Le fait est que l’officier, tout couvert de chaux, fit un tapage inouï, appela le gardien public et réclama le paiement de son uniforme lamentablement sali. Patron, ouvriers et colonel allèrent au poste, où, naturellement, un si gros personnage ne pouvait pas ne pas avoir gain de cause, malgré la constatation officielle des barrières et des « Attention à la peinture » qui avertissaient les passants des travaux en cours d’exécution. Connaissant bien la justice du pays et préférant un arrangement à l’amiable aux risques et aux tracas d’un procès coûteux, le patron déboursa promptement une certaine somme et le plaignant retira sa réclamation. Mais Adrien et son camarade du premier furent congédiés le soir même.

La vérité dans cette affaire était toute autre et Adrien ne l’ignorait pas. Certes l’officier était dans son tort, mais