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— Regardez ce beau Monsieur, au faux-col impeccable ! Il est matinal aujourd’hui, pour faire oublier sa bombe d’hier. Et il croit que cela ira tout seul, comme si rien ne s’était passé ! L’animal !

Adrien bondit :

— C’est toi qui es un animal ! Espèce d’idiot ! Si tu ne la fermes pas, je te jette ce camion à la figure !

Ce disant, il empoigna un pot de céruse, mais tout finit là, car le patron entra et son premier mot fut d’observer que personne n’était encore à son travail.

— Comme vous voyez ! acquiesça le contremaître ? C’est tous les jours la même histoire, mais je n’y puis rien.

— Et toi ? demanda le patron à Adrien. Tu n’as pas même fini de mettre ta salopette ?

— C’est moi qui l’en ai empêché, dit le chef du chantier. Vous savez qu’il a manqué hier à son travail.

— Eh bien ? Il en est à son premier coup, me semble-t-il. Une bonne engueulade, et c’est tout ! Allez, ouste ! Pas besoin de tant parlementer sur mon temps !

Tout le monde fut bousculé comme du bétail, le contremaître en tête, qui digérait mal la conclusion imprévue que le patron avait donnée à son conflit avec Adrien. Le conduisant à son travail, la brute serra le bras du jeune homme et lui dit, grinçant les mâchoires :

— Tu me le paieras !

— Ne me touche pas, ordure !

L’autre s’éloigna, lâchement, mais le fit payer, en effet. La semaine fut infernale pour Adrien. Le contremaître ne lui permit de terminer aucun des travaux qu’il avait déjà dégrossis, selon la coutume qui accorde à l’ouvrier qualifié des moments de répit vers la fin, après lui avoir imposé des efforts pénibles au début. Durant toute la semaine, Adrien ne fit que racler, frotter, laver. D’autres ouvriers venaient ensuite continuer et achever un travail de tout repos, propre, facile.

Il ne souffla mot. Il fit semblant de ne rien remarquer, voulant voir combien de temps cette persécution allait durer et décidé, le moment venu, à en appeler au patron. Car il n’était pas permis au contremaître d’employer un homme,