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lui prit une menotte et la baisa doucement. Juste pour être aimable. Il n’aimait pas les enfants.

Elle le comprit :

— Tu ignores quel bonheur ces amours-là apportent à une mère qui n’a rien d’autre au monde.

— Peut-être… Surtout quand la mère a un petit revenu.

— Oh ! pour lui, je serais capable de me faire servante !

— Mais non de supporter l’indifférence d’un beau-père.

— Ça non.

— Eh bien je serais pour lui ce beau-père. Il faut donc te méfier de moi !

Il tourna le dos, froidement, et alla d’un meuble à l’autre, d’une pièce à l’autre, admirant les beaux travaux à la main qui ornaient l’intérieur de Loutchia et qui étaient sortis de ses doigts habiles : dentelles, broderie, jours. Elle le suivait du regard, attristée. Il venait de la frapper au cœur. Il anéantissait son plus bel espoir : donner Adrien pour père à son Titi. Pour vrai père, et non pour beau-père. Encore moins un beau-père « indifférent ».

La pauvre Loutchia se laissa choir sur un fauteuil, son enfant dans les bras, et pleura en silence. Dans la salle à manger, Adrien aperçut quelques gros livres, dont la plupart en fascicules, rangés sur une étagère. Il les examina, un à un : les Trois Mousquetaires, — Catherine II de Russie, le Capitaine Dreyfus dans l’Île du Diable, Rocambole.

« Hum ! Quand une femme est belle, elle ne peut lire que ce que lisait Mme Thuringer : Sa Majesté l’Argent et son Altesse l’Amour. C’est une malédiction ! »

Mais il découvrit Graziella. Il l’emporta et retourna à Loutchia, qu’il trouva ramassée sur son enfant, engourdie.

— Allons… Ne pleure pas… Je t’ai dit ce que je sens en ce moment, mais… Que sais-je de ce qui adviendra dans l’avenir. L’homme n’est pas une pierre… Tout est possible dans la vie…

Elle leva la tête et Adrien se reprocha sa dureté. On voyait que la malheureuse souffrait sincèrement. Elle posa l’enfant à terre et prit la main d’Adrien, qu’elle appuya contre sa joue :

— Tu ne sais pas ce qui peut se cacher derrière la frivolité d’une mère. Oui, je suis une femme légère, j’aime cette vie