Page:Europe (revue mensuelle), n° 123, 03-1933.djvu/114

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Je me lève tard. J’aime tant le lit ! ( « Parbleu ! Qui ne l’aimerait ? » ) Je sonne et on m’apporte le café ( « Ah ! tu as une servante ! » ) J’ai une fillette, une petite paysanne qui me fait tout le travail, même le blanchissage, sans que cela me coûte un sou. La nourriture, l’abri, une défroque, c’est tout. ( « Et tu trouves cela chouette ! » ) Puis j’envoie Maritza me chercher Universul. ( « Où je sais bien ce que tu lis et où il n’y a même rien d’autre à lire. » ) Là-dessus, mon Coco se réveille. Alors, j’ai pour une heure à faire sa toilette, à le pomponner, à le cajoler…

— Tu n’as pas aussi un petit loulou ?

— Non ! Toutes les cocottes en ont. ( « Tiens ! Ça n’est pas bête ! » ) Enfin, je fais ma propre toilette et je sors. C’est l’heure des apéritifs.

— En prends-tu ?

— Très rarement. Quand on m’invite. Et quand l’invitation n’est pas suspecte.

— Comme l’est-elle, lorsqu’elle l’est ?

— Oh, mon chéri ! À Bucarest, une femme indépendante comme moi risque, neuf fois sur dix, de tomber sur la fripouille patente. En un rien de temps, on est embobinée. Ce n’est pas que le type profite de ton corps, mais, ensuite, il cherche à spéculer sur toi. Aussi je préfère la solitude. Je me méfie des connaissances qu’on fait à tout bout de champ. Et je m’en tirerais très bien comme cela. Seulement, voilà : j’adore l’opérette. Or les spectacles coûtent cher. Il faut qu’un gigolo vous y conduise. Voilà l’embêtant ! Où trouver le galant qui vous mène deux fois de suite à l’Oleteleshanu, sans que, en sortant à minuit, il ne nous demande de vous accompagner « jusqu’à la porte », qu’ils disent, puis de lui permettre de « monter un petit peu ». Oh, je connais bien leur truc ! Mais ils ne m’ont jamais eue ! Personne ne m’a encore accompagnée chez moi.

Elle songea un instant et ajouta :

— Toi, tu seras le seul homme qui connaîtras ma demeure.

— Pourquoi faire cette exception ? demanda-t-il sans conviction et presque à regret, car malgré cette peur de la femme qui vous ligote, il était prêt à l’écraser tout de suite dans ses bras.