Page:Europe (revue mensuelle), n° 123, 03-1933.djvu/104

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’habitude, quand il couche ici, de bavarder avec Macovei sur leur passé commun.

Mikhaïl tira doucement le nœud d’une ficelle qui fit grincer la targette de la serrure. La porte s’ouvrit. C’était un « système » qui permettait au locataire initié de rentrer, la nuit, sans avoir besoin de clef. Ils traversèrent le « Bureau » silencieux, pour aller au dépôt chercher leur « literie », cependant que Léonard, du banc où il était allongé, s’exclamait avec une force qui étonna Adrien :

— E-é-eh ! Prévoir !… Prévoir !… Pourquoi ne l’as-tu pas prévu, toi ? Tu en savais autant !…

Dans le dépôt, Adrien demanda à Mikhaïl :

— Est-ce qu’ils se disputent ?

— Non, au contraire, c’est très tendre. Ils remettent sur le tapis, encore et encore, toutes sortes de questions périmées, ayant l’air de se faire des reproches réciproques au sujet de leur faillite. En réalité, ils ne font qu’évoquer des jours qui ont été joyeux pour tous deux. Contente-toi d’écouter. Cela leur est bien égal.

— Mais peut-on dormir dans ces conditions ?

— Très bien ? Surtout quand on a quelques kilomètres de pavé dans les jambes, après une journée d’allées et venues avec les domestiques. L’embêtant, c’est que parfois ils se réveillent plusieurs fois la nuit pour se poser les questions les plus saugrenues. Mais on se rendort vite, à force d’habitude. Le tout, c’est de ne pas coucher le ventre creux.

Mikhaïl chargea Adrien d’une vieille couverture piquée très épaisse, dont l’endroit de satin était tout déchiré, et empoignant lui-même un gros paillasson, dit avec une fierté enfantine :

— Ça, c’est ma propriété ! On m’en a fait cadeau. Tu verras comme on dort bien dessus. Sur les bancs durs, c’est affreux. J’y ai passé quelques nuits, pires qu’en prison.

Ils éteignirent la lampe, traversèrent l’atelier des plapamari et vinrent jeter leurs fardeaux au pied du secrétaire, à même le sol. Le « Bureau » ne recevait maintenant du réverbère qu’un faible faisceau de rayons. On y distinguait à peine les dormeurs. Les deux anciens négociants continuaient leurs soliloques, mais, cette fois, d’une voix monotone qui aida