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LE BUREAU DE PLACEMENT[1]


ILs quittèrent la brasserie vers minuit. Avant d’arriver au « Bureau », Mikhaïl dit :

— Sache que souvent Léonard couche lui aussi dans notre « asile », et alors il faut tâcher d’être plus respectueux. Il ne réclame rien, mais c’est l’habitude.

— Comment, dit Adrien, même Léonard est sans abri ?

— Non. Il a un appartement. C’est-à-dire, il loge dans l’appartement d’une femme qu’il entretient. Je t’avais dit que c’est un homme à femmes. Il l’est même dans sa misère naturellement. Et comme jadis, il ne choisit que des garces. Jamais une brave femme ! Par sa faute. Des braves, il ne sait que faire. Ainsi l’actuelle, quoique sincère, le met à la porte trois fois sur cinq. Parfois, au milieu de la nuit. Car ils ne font que se chamailler. Et alors elle lui rappelle qu’elle est dans ses meubles, et le chasse.

— Et il lui obéit comme un agneau ? Il ne sait pas lui passer une raclée ?

— Non, jamais, Léonard est un homme vraiment bon.

— Bon ! On ne peut pas être bon avec les vipères.

Certes, dans notre banlieue de Braïla, j’ai vu souvent des hommes battre gratuitement leurs femmes, et en ce cas la femme doit crever les yeux de sa brute. Mais je connais aussi des femmes avec lesquelles l’existence n’était possible qu’à condition de les battre.

— Tu ne parleras pas de cela à Léonard. Tu serais ridicule ! Il est ce qu’il est, et ce n’est pas à ses cinquante ans qu’un gamin lui apprendra quelque chose à ce sujet. Cristin, qui pratique ta méthode, la lui a recommandée un jour plus qu’il ne le fallait. Léonard lui a répondu : « Vous aimez faire l’amour

  1. Voir Europe no 122 du 15 février 1933.