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d’existence. D’un caractère pareil au mien, on dira qu’il est calme, équilibré ; alors que je suis avide, gonflé de désirs, déchiré. Mais, en même temps, il est vrai — et point seulement par hasard — j’ai de grandes possibilités d’adaptation, d’exister véritablement dans l’instant, où je suis, pour une seule pensée, un être, et d’oublier le reste du monde. Infirmité ? Richesse ? ou encore, est-ce de la sagesse ? De moi-même, ah ! j’ai tiré tant de bonheur. La souffrance ne peut me venir que des hommes, ou bien de la maladie, la vieillesse, la mort, mais soit, en ce cas je l’accepte.


28 juillet 1936, Batoum.

Il pleut depuis notre arrivée, larges ondées. Paysage tropical, plantations de thé. Atmosphère lourde. Énervement, fatigue, isolement. J… traduit des articles : nouvelles d’Espagne, de France. Mais les événements d’Espagne éveillent en moi inquiétudes et souvenirs. De toutes parts, presque, dans ce monde, luttes, haines. En France, demain, c’est sûr. — Alors, quoi, comment vivre ? Travail, amour, toutes les joies prenant fin. Je me sens, ici, coupé de tout. Pas nouveau. Que ce peut être peu, une vie, ma vie, chaque vie. À la dérive. Et cependant, l’unique façon de ne pas être emporté tout à fait : croire en soi, se pencher sur soi, se retrouver. J’écris. Mes mains sont moites, lourdes sont mes jambes. Soudain, je pense que M… et moi, il y a cinq jours… L’air poisseux. J… écrasé sur son lit. Quelques cris. L’ordre et le désordre dans cette ville étrangère. Je ne suis de nulle part. Comment expliquer ce sentiment ? B…, V…, mes parents, ce que je possède, rien n’est réel, et à peine cet instant où je tente de me « recomposer ». J’existe de façon animale, végétale. C’est peu, c’est encore trop…


2 août 1936, Sokoum.

Depuis quatre jours dans ce pays qui me fait souvenir de la Riviera.