Page:Europe, revue mensuelle, No 171, 1937-03-15.djvu/23

Cette page n’a pas encore été corrigée

me pousse à me pencher sur moi, écrire comme je ne le fais que trop rarement sur moi-même, puisque c’est la raison véritable, la seule valable, de tenir « son journal ». Le mien, Dieu sait comme je le tiens ! Pas avec le souci d’y jeter une matière littéraire, y recueillir les bons mots, des situations intéressantes pour un romancier. Je ne parle ici que de certains de mes états. Et pas toujours de façon aiguë ou profonde.

. . . . .

Il est 5 heures, l’après-midi s’écoule. Je suis retourné nager, je me suis étendu au soleil, près de J… L… et nous avons eu une longue conversation sur différents sujets, et puis enfin J… L… m’a parlé de sa vie, avec cet accent maladroit et passionné que je lui connais depuis Londres. Il est marié, il a trois enfants, il mène une vie presque misérable, parce que communiste dans ce pays étroitement bourgeois qu’est la Hollande. Et puis, il a ses drames. Et ainsi, alors que je demeurais nu au bord de l’eau, une vie m’était donnée. L’étonnant renouvellement de la vie — pour la recevoir il ne suffit que d’aimer — et qu’on nous laisse vivre, grand Dieu !

À présent, assis à une terrasse, j’écris. Devant un admirable paysage, qui me laisse toutefois indifférent comme un décor. J’ai relu les pages précédentes, mon aventure avec m…, et je me suis dit que plus loin, dans ce même carnet, je parlais de V… avec un accent douloureux et si passionné, en lui faisant quels serments… que je ne tiens pas, n’ai pas tenu depuis qu’elle m’est revenue. Je suis ainsi, fidèle et volage, sincère dans l’instant, fuyant, instable et cependant avide de durée. Jamais je n’en finirai avec moi-même, avec mon passé. Où je suis, là est la vie. Il m’arrive de penser à Paris, ce qui m’y attend, avec angoisse et aussi une sorte d’indifférence. Je me sens de curieuses possibilités de bonheur et de souffrance, égales, comme tempérées. Ce sont là mes limites, peut-être, et aussi bien mes moyens