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me saisit, faite d’ennui, de dégoût ; de désespoir, et J’aurais alors le désir de fuir.

Mais c’est moi que je retrouve à Londres. Mon passé, celui d’hier, la rue P…-de-K… Je n’y pense presque pas, ou seulement par éclairs. Je suis là où je vis, j’appartiens à l’instant. Et ma pensée se tourne vers ce voyage, l’avenir. Qu’est-ce qui m’attend ? Nous attend tous ? Il faudrait ne vivre que dans le présent, mais comment ne pas préparer l’avenir ? Comment, aussi, ne pas être rongé d’inquiétudes. Je voudrais vivre. Je voudrais aussi écrire ce livre, ce roman dans lequel je me jetterai tout entier, il y a longtemps déjà que-je n’ai vraiment travaillé. Pour l’hiver prochain ?


30 juin 1936, en mer, entre Kiel et Leningrad.

J’ai relu ce que j’ai écrit à Londres. Je pourrais écrire presque les mêmes choses, encore que tout soit différent sur le bateau. Je suis heureux, je sens bien la beauté de ces journées (la mer est calme depuis notre départ). Je n’en suis pas moins inquiet, insatisfait, mécontent de moi-même, présent et banal tout ensemble, éveillé et engourdi.

Cette espèce de chasse aux femmes, sur le bateau… Mais est-ce que j’y prends part ? À ma façon, sans confiance, sans désir et sans goût, encore que j’aie l’acharné désir de vivre, et que je ne sache trouver ailleurs la vie.

Ce qui m’attend ? Ce voyage ?

Je ne veux y penser. Ce ne sera peut-être qu’un voyage de plus, avec d’autres découvertes. Me vaudra-t-il la possession d’êtres vivants ? Je le voudrais, mais ce n’est qu’un vœu. Que ce soit en voyage ou à Paris, la vie vous glisse pareillement entre les doigts.

Ce que j’écris là a un ton désenchanté. Sans doute. Et pourtant, je le répète, je suis heureux, et pleinement conscient de mon bonheur. Par instants, je pense à B…,