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ÈLEKTRA.

Notre Cité est chagrine et prompte au blâme.

ORESTÈS.

Parle, si tu veux, sœur ! Nous avons tous deux pour cet homme une haine irréconciliable.

ÈLEKTRA.

Allons ! Quelle insulte t’adresser d’abord ? Par quel outrage finir ? Que dire dans l’intervalle ? Chaque matin, je ne cessais jamais de rouler dans mon esprit ce que j’eusse voulu te dire en face, si j’avais été délivrée de mes premières terreurs. Maintenant donc, je le suis, et je vais te rendre les outrages que j’eusse voulu t’adresser pendant que tu vivais. Tu m’as perdue, ainsi que mon frère, et tu nous as rendus orphelins d’un cher père, n’ayant cependant reçu aucune injure. Tu as épousé honteusement notre mère, et tu as égorgé son mari, le Stratège des Hellènes, toi qui n’as jamais marché contre les Phryges. Et tu en es venu à cette démence d’espérer que notre mère ne te serait pas infidèle, elle que tu as épousée en violant le lit de notre père ! Mais que celui qui corrompt la femme d’un autre par une union adultère, et qui l’épouse ensuite, sache qu’il est malheureux s’il pense qu’elle lui gardera la fidélité qu’elle n’a point gardée à un autre. Tu vivais très misérablement, en t’imaginant que tu vivais heureux. Tu savais, en effet, que tu t’étais lié par un mariage impie, et ma mère savait qu’elle avait épousé un homme impie ; et, criminels tous deux, elle portait le fardeau de ta mauvaise fortune, et toi, le fardeau de la sienne. Et tu entendais tous les Argiens dire entre eux : — Celle-ci est