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d’artisans et de journaliers qui formait leur clientèle. Les nobles haïssaient en lui l’ancien membre du Comité révolutionnaire, le promoteur d’une adresse à la Convention, lors du jugement de Louis XVI ; les prêtres abhorraient l’ancien président de la Société populaire qui avait reçu l’abjuration des curés et des moines d’alentour ; le jacobin qui avait intronisé la déesse Raison dans l’église paroissiale enlevée au culte catholique. Les bourgeois détestaient le ferme républicain qui, plus de quarante ans après, gardait sa foi civique, et dont l’attitude et les paroles leur reprochaient leur apostasie ; enfin, le peuple, ignorant et abusé par les prêtres et la gent dévote, n’était pas loin de voir un suppôt de Satan dans ce vieillard que ses pères avaient acclamé.

Lorsque, le soir, on le voyait revenir des champs avec la vieille Françon, lui, droit et vert, la pioche sur l’épaule ou un fagot de bois, elle, clopinant, son panier au bras où étaient quelques pommes de terre ou des raves pour le souper, les âmes pieuses les regardaient passer avec des regards haineux, pleins d’une sainte horreur, et, quelquefois, des bonnes femmes à l’esprit affaibli se signaient sur son passage. Lui, prenait tout ce monde en pitié, et, à l’occasion, ne ménageait pas les coups de boutoir à ses agresseurs :

— Le plus clair de ta fortune vient des biens nationaux acquis par ton père ! dit-il une fois à M. Decoureau qui déplorait devant lui les malheurs de la Révolution.

Et, un jour, comme M. de Brossac lui faisait un grief de la démolition de l’ancien château des comtes de Fontagnac, il lui avait répondu, en le tutoyant comme M. Decoureau, car il gardait avec tous cette habitude révolutionnaire :