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déjà changé trois fois de pantalon, et, ganté par Jouvin, le lorgnon fiché dans l’œil, le chapeau haut de forme sur l’oreille, la badine à la main, se pavanait, en bottes vernies, sur le pont, d’où l’on voyait les fenêtres de Mlle de La Ralphie. Quant au vicomte, qui était bon cavalier, il passait et repassait dans la rue de la Barbecane sur son alezan, en caracolant et en faisant de la haute école.

Mlle de La Ralphie écoutait, sans sourciller, les insinuations mielleuses de l’abbé Turnac vantant l’avocat, — un futur député, disait-il, — avec une idée à lui de derrière la tête ; ou Mme Decoureau chantant, au sortir de vêpres, les louanges de son cher Anatole. Elle accueillait avec le même sang-froid les conseils paternels de son tuteur qui faisait valoir la noblesse, le titre et les relations mondaines du vicomte. Intérieurement, elle se moquait des deux prétendants et de leurs parrains. Anatole Decoureau lui paraissait un fat prétentieux et ridicule ; et, en vérité, elle trouvait ce bourgeois très imparfaitement emparticulé, bien osé d’élever ses vues jusqu’à elle. Quant au vicomte, c’était une autre affaire ; il était d’une noble famille, homme du monde, plein d’honneur, et il lui eût assez agréé d’être vicomtesse. Mais ce pauvre Guy n’était pas joli garçon ; il était petit, avait les cheveux rouges et une bonne figure ronde toute pleine de taches de rousseur.

Et alors, elle revoyait par la pensée le beau Damase et, ma foi, si le vicomte se fût présenté sous cette forme, il eût eu quelques chances d’être agréé. Et encore ! Non ! Quel qu’il fût, elle se révoltait à l’idée de se donner un maître. Un maître ! Jamais ! Son orgueil s’exaspérait à cette idée. Instinctivement, elle comprenait l’amour à la façon d’Élisabeth faisant couper la tête au comte d’Essex pour une infidé-