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G. LANSON. — À propos de la « crise du libéralisme »

de critiquer la loi, pour la faire abolir, a pour contre-partie le devoir d’obéir à la loi, tant qu’elle n’est pas abolie. L’enseignement doit préparer des esprits amis de la liberté et des citoyens soucieux de la légalité.

Voilà donc les deux points sur lesquels théoriquement se légitime l’intervention de l’État : il a le devoir d’assurer à tous les enfants une éducation non-confessionnelle, à laquelle Églises et sectes ajouteront à leur gré leur instruction confessionnelle, leur dogme révélé ou philosophique ; il a le devoir d’assurer à tous les enfants une éducation qui leur apprenne le respect de la loi. Il a donc le droit de demander aux maîtres de n’avoir pas pris les engagements qui en font les ministres d’une confession. Il a donc le droit de leur demander d’être capables d’enseigner le respect de la loi, c’est-à-dire tout d’abord de la respecter eux-mêmes. L’état permanent d’insoumission à la loi disqualifie un éducateur : il est étrange qu’il soit nécessaire de le faire remarquer à nos concitoyens. Ces deux conditions remplies, ils seront catholiques ou francs-maçons : cela ne regarde pas l’État. Ils enseigneront selon leur conscience : pourvu qu’ils n’oublient jamais que leur affaire n’est pas de transmettre des dogmes, mais d’élever des libertés, ni l’État ni les pères de famille[1] n’ont à leur demander compte de ce qu’ils croient.

Il est certain que sur toutes ces matières, et sur bien d’autres, ces délimitations des libertés individuelles sans lesquelles il n’y a pas véritablement d’organisation sociale pourront donner lieu à des luttes violentes ; je ne m’en effare pas outre mesure : c’est la condition de la liberté. La liberté d’un individu a pour limite la liberté d’un autre individu ; de même la liberté d’un groupe, d’une association a pour limite la liberté d’une autre association et d’un autre groupe. De même enfin une liberté d’un certain ordre peut trouver sa limite dans la nécessité de conserver une liberté d’un autre ordre : en certains cas, on peut défendre la liberté de consciente par une limitation de la liberté d’enseigner ou de la liberté de posséder.

Toutes ces limites seront instables, tour à tour reportées en avant ou reculées. Quoi que l’on pense, il ne faut pas croire tout perdu, parce que la borne a été déplacée. Dans ces luttes et ces oscillations, la notion de liberté gagne, et je ne partage pas là-dessus l’inquié-

  1. Et dans certains cas, il appartiendra à l’État de rappeler même les pères de famille au respect de la liberté de conscience et de pensée en la personne des professeurs.